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Pas de redressement du solde commercial sans reconstitution des capacités productives de la France

Communiqué de Refondation Républicaine, par Baptiste Petitjean, membre du Bureau.

10,5 milliards d’euros [1] (Mds€) : c’est le montant du déficit commercial au mois d’octobre, comme le révèle le point mensuel des Douanes publié le 7 décembre. Un résultat en ligne avec les résultats des mois précédents : 10,6 Mds€ en septembre, 10,4 Mds€ en août, 9,8 Mds€ en juillet…

Sur douze mois, du 4ème trimestre 2022 (T4/22) au 3ème trimestre 2023 (T3/23), le déficit commercial de la France reste massif, à environ – 147 Mds€, soit -6% du PIB (de 2022, en SPA [2]). Certes ce solde « s’améliore » par rapport à l’année 2022 qui a vu le déficit commercial s’envoler et atteindre un record de -191 Mds€, mais il demeure supérieur au déficit commercial des années précédentes. En admettant que le déficit se situe autour de 30 Mds€ au T4/22 (environ 10 Mds € par mois conformément au résultat observé en octobre), le déficit commercial français pour l’année 2023 devrait avoisiner les 130 Mds€.

Notre balance commerciale est également déficitaire à l’égard de toutes les grandes aires géographiques du monde sur les quatre derniers trimestres, à l’exception de l’« Europe hors UE » (+8,2 Mds€). Les déficits les plus importants sont observés vis-à-vis de l’UE, -59,6 Mds€ du T4/22 au T3/23 (-10,3 Mds€ vis-à-vis de l’Allemagne) et de l’Asie, -61,9 Mds€.

Enfin, le déficit commercial de la France conserve son caractère généralisé, avec des niveaux bien supérieurs à ceux de la période pré-Covid (effet prix essentiellement). La « facture énergétique » se réduit progressivement depuis le milieu de l’année 2022. Elle est passée de -5,7 Mds€ en juillet à -5,1 Mds€ en octobre, soit une amélioration d’un peu plus de 10 %. Du T4/22 au T3/23, le solde énergétique est d’environ -84 Mds€. Les hydrocarbures présentent à eux seuls un déficit de 62 Mds€ sur cette période, le pétrole raffiné 24 Mds€. L’électricité, grâce à la remise sur pied du parc nucléaire national, renoue avec ses habituels excédents commerciaux, +1 Md€. Toutefois, la balance commerciale hors énergie doit être source de préoccupations. Elle est passée de -4,1 Mds€ en juillet à -5,4 Mds€ en octobre, soit une dégradation de presque un tiers. Sur une année glissante (toujours du T4/22 au T3/23), le déficit en matière de produits manufacturés est d’environ 65 Mds€. On peut prendre pour illustrations quelques grandes catégories de produits sur cette période. Deux grands secteurs affichent un déficit supérieur à 20 Mds€ :

Les « Produits de la métallurgie » (-15 Mds€), les « Equipements électriques et ménagers » (-10,3 Mds€) et les « Machines » (11 Mds€) présentent un solde commercial négatif supérieur à 10 Mds€. Les « Produits pharmaceutiques » (+1,1 Mds€) et la « Chimie » (+1,4 Mds€) sont en léger excédent. Deux grands secteurs demeurent de solides atouts productifs à l’export de la France : les « Parfums et cosmétiques » (+16 Mds€) et l’« Aéronautique » (+29 Mds€).

Les produits issus de l’agriculture et des industries agroalimentaires font mieux que résister : ils constituent le troisième poste d’excédent commercial de la France (+7,8 milliards d’euros en 2019, +10,4 Mds€ en 2022, +7,4 Mds€ du T4/22 au T3/23), derrière le secteur aéronautique et spatial et les cosmétiques et parfums. Toutefois, une analyse fine et prospective et une forme de lucidité laissent à penser que la puissance agricole et agroalimentaire de la France est menacée. La France a vu ses parts de marché au niveau mondial dans les domaines agricole et agroalimentaire fondre et passer de presque 8 % en 2000 (elle était alors le deuxième exportateur mondial) à 4,5 % en 2022. Malgré des exportations record en valeur, la France vient de sortir du top 5 mondial des exportations agricoles et agroalimentaires (83 Mds€ environ) derrière les Etats-Unis (183 Mds€), le Brésil (129 Mds€), les Pays-Bas (125 Mds€), la Chine (85 Mds€) et l’Allemagne (84-85 Mds€). C’est que derrière l’excédent commercial quasi structurel de la France en matières agricole et agroalimentaire se cache, en premier lieu, une hyper dépendance à deux catégories de produits : les boissons, +16,1 Mds€ en 2022 ; les céréales, +10,7 Mds€ en 2022 . De plus, on observe une multitude de déficits sectoriels : les produits de la pêche et de l’aquaculture (produits transformés compris) affichent par exemple un déficit important et croissant (-5,7 Mds€ en 2022 ). Les fruits et légumes (produits transformés compris) constituent également un poste important de déficit (-7,3 Mds€ en 2022 ). Pris isolément, l’excédent des produits agricoles semble fragile (voir encadré) : +2,4 Mds€ sur les 4 derniers trimestres (+0,4 Md€ au 3ème trimestre). La vigilance semble de mise : après la désindustrialisation la « désagricolisation » ?

La comparaison avec les résultats du commerce extérieur de l’Allemagne permet de mesurer le décrochage productif de la France : en octobre, malgré le fléchissement de la croissance et de la production industrielle (en recul de 0,4 % par rapport au mois de septembre et de 3,5 % par rapport au mois d’octobre 2022), les excédents de l’Allemagne ont atteint 17,8 Mds€ … Du T4/22 au T3/23, l’Allemagne affiche un solde commercial très largement excédentaire de 181,4 Mds€. L’écart entre le solde commercial de la France et celui de l’Allemagne dépasse donc les 300 Mds€ sur la période. Les exportations allemandes cumulées sur cette année glissante atteignent 1 584,6 Mds€, contre 611,7 Mds€ pour la France : 1 000 Mds€ d’écart ! Cela revient à dire qu’en moyenne, quand l’Allemagne exporte à hauteur de 132 Mds€ par mois, la France exporte pour environ 51 Mds€ par mois.

Quelle autre leçon que celle qui suit faut-il tirer de ce terrible diagnostic ? Réindustrialisation, indépendance énergétique et réagricolisation, tel est le chemin du rééquilibrage de la balance commerciale nationale.

[1] Les chiffres retenus dans ce texte sont exprimés en « CAF/FAB ». Les données CAF/FAB considèrent la seule valeur des marchandises au passage de la frontière française, à l’exportation, mais la valeur des importations comprend les coûts d’assurance et de transport.

[2] -146,9 / 2 448,1 = -6 %. (utilisation du PIB de la France 2022, en standards de pouvoir d’achat (SPA) afin d’éliminer les différences de niveaux de prix nationaux).

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