Tribune de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre et président d’honneur de « Refondation républicaine » pour Le Monde, publiée le 19 avril 2022.
La réélection d’Emmanuel Macron est essentielle pour que la France surmonte les fractures qui la traversent, économiques et sociales, mais aussi et peut-être surtout culturelles. La désindustrialisation frappe la France depuis quatre décennies, plus que tout autre pays européen. Arrêtons-nous d’abord sur ces fractures économiques et sociales.
La crise liée au Covid-19 a révélé l’étendue et la profondeur de nos dépendances. Le déficit commercial a atteint 85 milliards d’euros en 2021. Dans le même temps, l’excédent commercial allemand tutoyait, chaque année, les 200 milliards d’euros. Cela veut dire que, depuis près de vingt ans, la position extérieure nette de la France n’a cessé de se dégrader. Ce n’est pas ainsi qu’on prépare l’avenir du pays.
Ce n’est donc pas un hasard si Emmanuel Macron a placé le « pacte productif » au cœur de son projet. La réindustrialisation est l’âme de notre nation et une nécessité impérieuse pour quiconque entend protéger notre « Etat-providence » et nos grandes conquêtes sociales de l’après-seconde guerre mondiale. C’est le sens de l’action d’Emmanuel Macron au cours des dernières années.
Depuis 2017, reprise de la création d’emplois industriels
En fixant le cap de la reconquête de l’indépendance industrielle, Emmanuel Macron a mis fin à l’hémorragie dont la France souffrait. S’il reste du chemin à parcourir, les premiers résultats sont au rendez-vous. Depuis 2017, la création nette d’emplois industriels a repris, situation que la France n’avait pas connue au cours des deux dernières décennies. En 2021, on comptait deux fois plus d’ouvertures que de fermetures de sites industriels en France.
A titre de comparaison, en 2009, le nombre de fermetures d’usines excédait très largement celui des ouvertures (– 225 sites). Grâce au volontarisme conjugué de notre gouvernement, de notre appareil administratif et de nos industriels, la France est devenue l’un des pays européens les plus attractifs pour les investissements industriels étrangers, condition essentielle à l’innovation.
C’est précisément dans cette ambition d’innovation que s’inscrit le plan de relance France 2030. Il s’agit de placer la France sur tous les « créneaux porteurs » : énergie décarbonée, électronucléaire, hydrogène, batteries électriques, composants électroniques, aérospatial, véhicules électriques. Mais ce serait une grave erreur que de délaisser les industries traditionnelles : textile, habillement, agroalimentaire…
Redonner un sens au travail
Dans tous les secteurs, il faut développer la recherche technologique. Enfin, et surtout, former des hommes à tous les niveaux de qualification, de l’apprentissage aux écoles d’ingénieurs. Pour permettre la réindustrialisation de la France, il ne suffit pas d’abaisser les impôts qui pèsent sur la production. Il faut flécher l’investissement, ressusciter la planification indicative.
Il n’y aura pas de volontarisme industriel, si on ne recrée pas un ministère de l’industrie capable d’embrayer directement sur les structures productives et doté des instruments nécessaires. Ce ministère de l’industrie doit coexister avec le ministère de l’économie et des finances. C’est possible, car ce n’est pas tout à fait le même métier.
Une double approche est nécessaire : macroéconomique d’abord, soucieuse des grands équilibres, et sectorielle ensuite, capable d’organiser la montée en gamme de nos productions. Evidemment, cette priorité industrielle et technologique doit se refléter dans le choix des hommes. Pour remonter la pente de la désindustrialisation, il faudra investir, dégager des ressources nouvelles, bref, comme l’a rappelé notre candidat, « travailler plus ». Ce n’est possible que si le travail retrouve, pour tous, son sens.
Refonder la République
On doit lier la réindustrialisation et la nécessaire reconquête de l’électorat populaire. Et, pour cela, combattre les idées de décroissance et la technophobie. Dans cette première priorité, il y a une dimension idéologique forte : la réhabilitation du travail, de la science et des valeurs de la connaissance. Tout aussi fort est le contenu idéologique de la seconde priorité.
Il ne s’agit rien de moins que de refonder la République. Dans ce monde déchiré de contradictions et dans une Europe dont l’unité est une tâche, le modèle républicain peut seul tenir la France debout. Or, une France debout, c’est-à-dire une France forte, est seule en mesure de maintenir l’équilibre de l’Europe.
Si la France venait à céder sur ses valeurs de citoyenneté, de laïcité, d’égalité des chances données à tous, de liberté, et d’abord de liberté de jugement, de fraternité entre tous les citoyens quelles que soient leur religion, leur couleur de peau, leur tradition culturelle, ce serait, tout simplement, la fin de la France comme grande nation.
La restauration du socle de l’école publique
C’est le civisme qui fait l’unité d’une action comme la nôtre. Les ennemis de la République arguent que ses valeurs sont sans cesse contredites par les faits ; c’est qu’ils ne comprennent pas la distance qui sépare l’idéal et le réel, ni le sens du combat républicain défini par Jaurès : aller à l’idéal, mais à partir du réel. Combat de tous les jours, sans cesse recommencé…
Sachons magnifier le travail effectué sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron pour revaloriser l’école élémentaire, rehausser le niveau des apprentissages, réconcilier méritocratie et combat contre les inégalités, ainsi en maintenant l’école ouverte pendant la pandémie, en dédoublant les petites classes, en mettant en place des plans ambitieux pour l’enseignement du français et des mathématiques, en revalorisant l’enseignement du latin et du grec, en rouvrant les classes bilingues, etc.
Cette restauration du socle de l’école publique était le chantier le plus nécessaire. Il a été ouvert et conduit d’une main ferme. Il était le préalable de la suite de l’effort engagé pour améliorer l’orientation scolaire. Le ministère a su défendre la laïcité quand elle était assaillie. Le dispositif mis en place pour combattre les atteintes à la laïcité fonctionne. Mais, là aussi, c’est un combat de tous les jours, combat contre l’idéologie « woke » fondamentalement hostile à l’idée de l’égalité.
Marine Le Pen inaugurerait une ère de tensions
Pour mener ce combat vital, un puissant ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la culture réunirait tous les moyens nécessaires à une action d’ensemble dont tous ne sont pas convaincus, tant s’en faut, et tant pèse le poids des idées différentialistes dans notre société. Un tel ministère porterait efficacement le flambeau des Lumières. L’enseignant de demain, revalorisé d’un point de vue aussi bien salarial que symbolique et moral, doit être convaincu que parler au peuple a un sens, c’est l’aider à penser, à comprendre, à poursuivre l’œuvre de la culture qui donne sens à l’humanité.
En donnant toute leur force aux deux chantiers prioritaires définis par notre candidat, nous donnons sens à l’engagement civique que commande la gravité de la situation. Il ne sert à rien, à la veille du second tour, de diaboliser Marine Le Pen. Bien sûr, son élection serait un dramatique mauvais coup porté à l’image de la France dans le monde.
L’inexpérience de l’Etat, l’isolement et l’incompétence trop souvent démontrée de Marine Le Pen et de ses équipes ne présagent rien de bon quant à leur capacité à défendre les intérêts de notre nation. Surtout, l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République inaugurerait une ère de tensions, d’instabilité politique et, potentiellement, de troubles graves pour le pays. La paix civile serait menacée.
Le plus sûr moyen d’arrêter Marine Le Pen, c’est encore de montrer le sens humaniste de notre projet. Car, comme l’a dit Emmanuel Macron, « la France n’est pas n’importe quelle nation ».