PAR BAPTISTE PETITJEAN
Marianne / 5 novembre 2021
Au fil des ans, l’agriculture française cède du terrain. Plus de la moitié des fruits et légumes que nous consommons viennent d’ailleurs. Plus grave, notre pays exporte des matières premières qu’il réimporte sous forme de produits finis.
Grande ou moyenne puissance agricole ? Avec ses copieux excédents commerciaux (8,4 milliards par an en moyenne depuis 2010), la France compte parmi les grands de l’agriculture. Mais attention aux effets d’optique, sa réussite à l’export repose sur deux productions majeures : les vins et spiritueux (12,4 milliards d’euros d’excédent en 2019) et les céréales (6,2 milliards d’euros). Or concentrer sa force sur trop peu de débouchés expose le pays à toutes sortes de vicissitudes. Cette vulnérabilité s’est d’ailleurs récemment manifestée en raison de la crise du Covid-19 et de la baisse de la consommation de certains alcools festifs, mais surtout à la suite des surtaxes sur les vins mises en place par Donald Trump (finalement retirées pour cinq ans, en juin 2021, par Joe Biden), avec comme résultat une perte de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires pour le secteur.
Perte de compétitivité
En fait, la puissance commerciale s’érode. Les parts de marché à l’export se retrouvent à 4,7 % en 2019 contre 8 % en 2000. Tout un symbole, la France affiche aussi un déficit à l’égard des pays de l’Union européenne (presque 1 milliard d’euros en 2019), ce qui traduit bien la perte de compétitivité de certains secteurs, en raison notamment de standards de production plus élevés dans l’Hexagone sur le plan social et environnemental.
Des pans entiers affichent de piètres performances. Plus de la moitié des fruits et légumes consommés en France sont importés. Autrefois premier exportateur mondial de pommes, fruit le plus échangé sur le marché mondial, la France occupe désormais la septième place, devancée notamment par la Pologne et l’Italie. Les pommes françaises figurent parmi les plus chères sur les marchés mondiaux, avec 1,33 dollar au kilo, contre 1,20 en Italie, 1,16 en Chine, ou 0,40 en Turquie.
Alors que les productions agricoles constituent souvent à tort une variable d’ajustement dans les négociations d’accord de libre-échange, cette perte de compétitivité est loin d’être anecdotique sur le plan économique. Le Haut-Commissariat au Plan illustre cela en prenant l’exemple de la ratatouille (tomates, courgettes, oignons, poivrons, aubergines)
exprimée en chiffres du commerce extérieur. Le résultat a du mal à passer : environ 650 millions d’euros de déficit sur les deux dernières années*. Près de 300 millions rien que pour les tomates fraîches en 2019, en provenance aux deux tiers du Maroc, tout au long de l’année, sans grand respect pour la saisonnalité… Du côté du bio, un tiers de la consommation française est assuré par les importations.
NOS IMPORTATIONS AGRICOLES ET AGROALIMENTAIRES ONT DOUBLÉ EN VINGT ANS, REPRÉSENTANT 20 % DE CE QUI SE RETROUVE DANS NOS ASSIETTES.
Commerce extérieur déséquilibré
Les importations agricoles et agroalimentaires de la France ont doublé entre 2000 et 2019, et représentent environ 20 % de ce qui se retrouve dans nos assiettes, selon un rapport d’information sénatorial de 2019. Préoccupant, alors que « souveraineté », « indépendance » et « résilience » alimentaires ont resurgi à la faveur de la crise, lors du premier confinement.
Ces constats disent également quelque chose de l’état de notre économie, et correspondent, d’une certaine manière, aux caractéristiques d’un « pays en voie de développement », comme l’a récemment indiqué le haut-commissaire au Plan, François Bayrou, lors d’une audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la désindustrialisation : l’exportation de matières premières et l’importation massive de produits transformés. Les exemples ne manquent pas. Premier exportateur mondial de pommes de terre, la France est importateur net (c’est-à-dire qu’elle importe plus qu’elle n’exporte) de chips, à hauteur de 120 millions d’euros en 2019. Bien que le pays garde encore sa place de premier producteur agricole européen (en productions animales et végétales), la catégorie machines agricoles et forestières est en déficit de 1,33 milliard d’euros en 2019, 60 millions d’euros de déficit rien que pour les trayeuses, en provenance à plus de 90 % de deux pays où les coûts de production sont, non pas similaires, mais à tout le moins comparables aux nôtres, les Pays-Bas et la Suède. Dans le même ordre d’idées, les moissonneuses-batteuses › › importées en France viennent essentiellement d’Allemagne et de Belgique. Plus choquant, le pays dispose de l’une des plus grandes forêts d’Europe, et notre excédent commercial en bois ronds se situe autour de 200 millions d’euros, or les meubles en bois pour les chambres à coucher affichent un déficit de plus de… 200 millions d’euros.
Revers de la désindustrialisation
En somme, la France connaît quelques difficultés à transformer l’essai et à valoriser ses atouts, que ce soit en amont ou en aval de la production. C’est le revers agricole de la triste médaille de la désindustrialisation. L’agriculture connaîtra-t-elle le même sort que l’industrie ? C’est probablement la vocation productive des campagnes qu’il faut réinvestir, car ce n’est pas seulement la souveraineté alimentaire de la France qui est en jeu, mais, plus largement, sa puissance et son rayonnement international dans le monde.
* Note du Haut-Commissariat au Plan n° 7, « La France est-elle une grande puissance agricole et agroalimentaire ? », juillet 2021. Données des Douanes.