Par Baptiste Petitjean, membre du Bureau de Refondation républicaine
Sidération : en mai, l’Allemagne a connu son premier déficit commercial mensuel depuis janvier 2008 [1]. Presque 1 milliard d’euros. La machine à exporter allemande serait-elle en panne ? Si tel était le cas, ce n’est pas d’un simple aléa statistique qu’il s’agit mais bien d’un début de remise en cause d’un modèle économique fondé sur le mercantilisme, une industrie puissante et exportatrice. Certains médias sont allés jusqu’à évoquer un « tournant ».
Alors que se passe-t-il exactement outre-Rhin ? Par rapport à mai 2021, les exportations du mois de mai de l’année en cours ont augmenté de 11,7 % pour atteindre 125,8 milliards d’euros. Les importations quant à elles ont bondi de 27,8 %, atteignant 126,7 milliards d’euros.
Les économistes avancent des raisons conjoncturelles, certes préoccupantes. L’augmentation des prix de l’énergie combinée à la dépendance au gaz russe pèse lourd bien entendu. L’Allemagne et son tissu industriel subissent de plein fouet le renchérissement de la facture énergétique. Un constat qui a eu pour effet de rouvrir un débat clos depuis l’accident de Fukushima et la décision d’Angela Merkel de sortir du nucléaire. Markus Söder, chef de la CSU et ministre-président du Land de Bavière, a estimé que la prolongation du nucléaire était « certainement » possible. Au sein de la coalition tricolore actuellement au pouvoir, le ministre des Finances, leader du parti libéral FDP, Christian Lindner, a quant à lui demandé « un débat ouvert et sans idéologie » sur la question de la prolongation des centrales nucléaires.
Dans le même temps, ralentissement de la croissance mondiale et contexte géopolitique obligent, côté exportations, cela coince. En direction de la Russie, elles ont chuté de 54,6 % en glissement annuel. Avec la reprise du Covid et ses conséquences sur l’activité économique, les échanges fléchissent aussi avec la Chine, partenaire pourtant essentiel, important pour plus de 100 milliards d’euros par an de biens et marchandises allemandes depuis quelques années.
Toutefois cela ne suffit pas à alimenter un vent de panique générale. Le dernier déficit annuel date de la période de la réunification. Si le mois de mai a connu un solde négatif, cela ne permet pas de conclure que l’année 2022 connaîtra le même sort. De janvier à mai 2022, la balance commerciale allemande demeure d’ailleurs excédentaire, à hauteur de 22 milliards d’euros, en net recul toutefois par rapport aux années précédentes. Sur les douze mois allant de juin 2021 à mai 2022, l’excédent allemand n’est « que » de 111 milliards d’euros. Un chiffre qui a de quoi faire rêver en France néanmoins : en mai 2022 le déficit commercial était de 13,1 milliards d’euros, et de 114 milliards sur douze mois…
Ce qui inquiète davantage en Allemagne, outre l’inflation galopante, c’est l’affaiblissement de l’euro qui pourrait bientôt atteindre la parité face au dollar. Une tendance qui, au passage, pourrait ne pas forcément être une mauvaise nouvelle pour la compétitivité des industries du sud de l’Europe, dont la France. Si cette tendance peut constituer également un atout pour les entreprises exportatrices allemandes, elle est en revanche un handicap s’agissant des biens nécessitant beaucoup d’énergie (le plus souvent facturée en dollars) dans leur processus de production. C’est un problème aussi pour les biens intermédiaires de production, beaucoup provenant de pays non-membres de l’UE.
L’appel du large auquel avait répondu l’économie allemande et qui lui a permis d’engranger des excédents commerciaux records semble battu en brèche par une forme de régionalisation de la mondialisation, accentuée par tensions géopolitiques. L’Allemagne saura-t-elle dépasser la perturbation conjoncturelle des chaînes d’approvisionnement et l’augmentation des prix de l’énergie qui plombent son industrie ? L’avenir le dira.
[1] L’Office fédéral de la statistique ne disposait pas de chiffres comparatifs avant 2008, les statistiques ayant été modifiées à cette période.
Source : Marianne