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« Le traité de Maastricht, dans les faits, s’est évaporé »

Tribune de Jean-Pierre Chevènement dans Marianne

I. La critique du traité de Maastricht est condensée par les principales objections que j’ai faites du temps de son élaboration.

Ces critiques concernaient en premier lieu la libéralisation de la circulation des mouvements de biens, de services et surtout de capitaux, sans harmonisation préalable des règles, notamment fiscales. En second lieu, la critique que je formulais parmi beaucoup d’autres concernait la capacité donnée à la Commission européenne d’harmoniser par voie de directives les législations nationales au seul regard de la concurrence « pure et non faussée ». Enfin ma critique, rejoignant celle de beaucoup d’autres, concernait le pouvoir donné à la Banque centrale européenne indépendante d’émettre de la monnaie, mais seulement à la hauteur de ce qui était nécessaire pour contenir l’inflation à moins de 2 % par an. Parallèlement étaient mises en cause, par les adversaires du traité de Maastricht, les règles de plafonnement des déficits budgétaires (3 % du PIB) et de l’endettement public (pas plus de 60 % du PIB).

À ces critiques, les tenants du traité opposaient une confiance globale fondée sur une sorte de « mystique européenne » (« L’Europe c’est la paix »). Parallèlement, François Mitterrand évoquait même la logique des institutions pour produire, le moment venu, les mesures réglementaires qui compenseraient ce qu’un dispositif trop général pouvait avoir d’imparfait.

II. Quel bilan peut-on dresser trente ans après que le traité de Maastricht a été soumis au référendum de septembre 1992 ?

L’application de celui-ci a entraîné une croissance fortement ralentie et même, après 2008, une véritable logique d’austérité. Après une phase de baisse des taux d’intérêt pratiquée par les Banques centrales, une logique restrictive s’est développée pour remédier à la crise de l’euro et contrarier les évolutions divergentes des économies du Nord et du Sud de l’Europe, notamment à partir de la récession de 2008. Il a fallu attendre 2012, et surtout 2015, pour que le nouveau président de la Banque centrale, Mario Draghi, prenne des mesures correctives : achat de titres publics et politique de création monétaire, dite quantitative easing.

Ainsi, plus de vingt ans auront été nécessaires, à partir de la signature du traité de Maastricht, pour que la Banque centrale européenne infléchisse, prudemment d’ailleurs, le cours de sa politique monétaire. Et pour que la « logique des institutions » consente à se manifester. Et encore cet infléchissement n’évita-t-il pas une crise économique d’ampleur (2011-2017). La « logique des institutions » n’évita pas, quant à elle, le déclin de la croissance européenne par rapport à la croissance américaine et, sur le plan interne, un développement asymétrique entre les pays de l’Europe du Nord et ceux de l’Europe du Sud. Ces résultats ne condamnaient-ils pas les choix opérés dans les années 1980-1990 au moment de l’élaboration du traité de Maastricht ? La désindustrialisation de la France ne fut-elle pas ainsi bien cher payée ?

III. La crise du coronavirus, véritable point de retournement

Il a fallu attendre 2019 pour que soient suspendus les fameux critères de Maastricht. En même temps la Banque centrale européenne, sous l’impulsion de Mario Draghi, puis de Christine Lagarde, a abandonné sa politique monétaire restrictive pour faire tourner la planche à billets et financer les mesures d’aides aux entreprises et de lutte contre le chômage partiel, intervenues en 2020. Jusqu’à cette date, le modèle maastrichtien a conduit à l’alignement de la politique monétaire des pays du sud de l’Europe sur les exigences de l’économie allemande : financement de la réunification allemande dans les années 1990, à travers la fixation d’une parité monétaire surévaluée entre l’Ostmark et le Deutschemark, soutien à la compétitivité des exportations allemandes par une politique de restriction salariale (plans Schröder).

En réalité, ce qui était en cause, c’était la survie de la zone euro à travers les règles excessivement restrictives imposées par l’Allemagne. La crise du coronavirus a permis de rendre manifeste l’impasse dans laquelle l’Europe de Maastricht était engagée. Curieusement, Emmanuel Macron n’est pas crédité de ce renversement d’orientation opéré en 2020 et prolongé jusqu’à aujourd’hui. Certes, le problème de l’endettement est posé mais il l’est à l’échelle européenne. Emmanuel Macron a proposé dans son discours au Parlement européen, en décembre 2021, de nouvelles règles de désendettement : partir des investissements rendus nécessaires dans chaque État par le financement de la transition énergétique et climatique. C’est une base autrement sérieuse pour négocier que la fixation de chiffres arbitraires correspondant à des données économiques obsolètes. Bien entendu, rien n’est définitivement gagné mais on peut déjà observer que la réduction du déficit budgétaire à 3 % du PIB, telle qu’elle est fixée par le traité de Maastricht, est reportée par nos responsables à 2027. Bien entendu, il faudra résister à la pression de l’idéologie déflationniste, véhiculée par exemple par une partie de l’actuel gouvernement allemand.

Le traité de Maastricht, dans les faits, s’est évaporé. Je le dis au passage à ceux pour qui rien n’a jamais changé et qui semblent n’avoir d’oreilles que pour ne pas entendre. Ce n’est pas moi qui ai changé, c’est tout simplement la réalité.

On ne peut plus raisonner s’agissant de l’Europe comme si nous étions encore en 1925, en 1950, ou en 1989. L’Europe a été conçue par Aristide Briand à la fin des années vingt pour dépasser les conflits de leadership entre l’Allemagne et la France. En 1950, il s’agissait de faire face à l’impérialisme soviétique. En 1989, François Mitterrand a voulu, à travers une monnaie unique, partager le leadership entre l’Allemagne et la France. Ces supputations sont aujourd’hui obsolètes.

La vraie nécessité de l’Europe résulte du fait qu’entre les États-Unis et la Chine, il faut une réponse coordonnée pour remédier aux dépendances que nous voyons se creuser en matière d’énergie, d’agriculture, de matières premières, de nouvelles technologies. En prenons-nous le chemin ? Assurément non ! La politique russe a renforcé l’emprise des États-Unis sur l’Europe. Il est temps qu’une véritable Europe se manifeste en affichant la reconquête de son indépendance au premier rang de ses priorités. Les problèmes aujourd’hui ne se posent plus comme il y a trente ans. L’euro est une réalité mais ce qui manque à l’Europe, c’est d’abord la volonté en matière de politique économique mais aussi de politique étrangère. Et c’est là que la politique de la France peut et doit peser.

Source : Marianne

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