par Baptiste Petitjean, membre du Bureau de Refondation républicaine
« Répondre à l’urgence et préparer l’avenir » : la Première Ministre Élisabeth Borne a rappelé, en ouverture du débat organisé à l’Assemblée nationale le 16 novembre dernier, le sens de la transition énergétique dont la feuille de route avait été dévoilée le 10 février à Belfort. Soulignant que politique énergétique et politique industrielle sont aussi indissociables que nécessaires, elle a égrené les « leviers, des jalons, des moyens » qui ont été mis en place, traduction concrète d’un réel effort de planification et de « reprise en main de notre destin énergétique ».
L’objectif à long terme, celui qui a été mis en avant par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, est clair : devenir la première grande nation à sortir des énergies fossiles. Une fois qu’un tel cap est fixé, tout reste à faire, c’est tout un plan de bataille qu’il convient de boucler.
Compte tenu de la crise actuelle de l’énergie, qui risque de durer encore plusieurs mois, et des tensions d’approvisionnement, RTE ayant tiré la sonnette d’alarme concernant le mois de janvier, un plan de sobriété et d’efficacité permettra tout d’abord de réduire notre consommation énergétique de 10 % en deux ans, et de baisser notre consommation d’énergie de 40 % d’ici 2050.
A plus long terme, le défi réside dans un programme ambitieux de production d’électricité décarbonée et diversifiée autour du développement parallèle du nucléaire et des énergies renouvelables. Avec la montée en puissance de l’électromobilité et du numérique, l’électrification des usages dans les années à venir sera massive. L’enjeu est colossal : produire 60% d’électricité en plus d’ici 2050.
En raison de l’intermittence de la plupart des EnR (photovoltaïque et éolien notamment) et du potentiel de production, il est illusoire d’envisager un mix de production d’électricité 100 % renouvelable qui ne permettrait pas d’assumer l’augmentation de la demande et qui éteindrait de fait toute volonté de reconquête de l’appareil productif. Toutefois, cela n’interdit pas la montée en puissance : le gouvernement ambitionne un doublement de nos capacités de production d’électricité d’origine renouvelable d’ici 2030. Encore faudrait-il, pour être complets, que la France, a minima l’Europe, puisse développer des capacités critiques de production d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques, car il n’est pas raisonnable de se reposer sur l’importation. Sans compter les fortes oppositions que peut provoquer dans la population l’énergie éolienne. On peut également penser à la géothermie de surface, pour laquelle la ministre de la Transition énergétique a annoncé un plan d’action lors du lancement de l’écosystème Géoénergie au salon des maires de France. Cette source de chaleur renouvelable constitue, selon les estimations du Haut-commissariat au Plan et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), un potentiel d’économie de gaz de 100 TWh annuels d’ici 15 à 20 ans.
La modernisation de notre parc nucléaire et la relance du programme de construction de nouveaux réacteurs sont également capitales pour répondre aux défis qui se dressent à l’horizon. C’est parce que notre parc nucléaire connait actuellement des difficultés, la moitié des réacteurs étant à l’arrêt, que le spectre des coupures d’électricité est apparu. Une énergie abondante et peu chère était le grand avantage compétitif de la France, mais la moindre disponibilité du nucléaire est aujourd’hui un handicap qui menace notre pays d’une nouvelle vague de désindustrialisation à court terme. Au cours des trois premiers trimestres de 2022, la production d’énergie d’origine nucléaire s’est établie à 209,2 TWh, environ 30 % de moins que sur la même période en 2021 [1]. La France est passée en quelques mois d’exportateur net d’électricité (1,1 milliard d’euros d’excédent en 2020, 2,6 milliards en 2021) à importateur net (4 milliards d’euros de déficit commercial sur les douze mois allant d’octobre 2021 à septembre 2022) [2].
« Le temps de la renaissance du nucléaire est là », avait garanti Emmanuel Macron le 10 février à Belfort. La Première ministre a confirmé l’intention du gouvernement de prolonger tous les réacteurs qui répondent aux standards de sûreté et de lancer le chantier des 6 EPR2 annoncés à Belfort dont le premier doit être mis en service d’ici 2035. Le projet de loi ayant vocation à accélérer les procédures de construction d’installations nucléaires a été présenté au début du mois de novembre . Le programme d’investissements d’avenir « France 2030 » comporte également une enveloppe d’un milliard d’euros dédiée aux réacteurs innovants, notamment aux petits réacteurs modulaires qui pourraient être un produit phare tout particulièrement à l’export, et sur lesquels s’est positionnée la start-up belfortaine Neext engineering. Il faut ajouter à ce panorama la poursuite des efforts de recherche et de développement de nouveaux vecteurs énergétiques comme l’hydrogène (9 milliards d’euros dans les prochaines années notamment via France 2030). Des étapes majeures ont déjà été franchies pour mener à bien cette politique : l’ouverture des crédits de recapitalisation d’EDF à 100 % par l’État a été votée dès le mois de juillet, puis le rachat il y a quelques jours par EDF de l’entité GE Steam Power et des turbines Arabelle, les plus puissantes du monde. Les effectifs concernés se trouvent dans une quinzaine de pays, mais 70 % environ se situent en France, notamment sur les sites industriels de Belfort et de La Courneuve. Elles sont installées dans environ un tiers des centrales nucléaires au monde et dans les 56 réacteurs en activités en France. Elles équipent également nos sous-marins à propulsion nucléaire et le porte-avions Charles de Gaulle, ce qui ne fait que confirmer leur importance stratégique, en termes de souveraineté. Les Français ne s’y trompent pas : 78 % estiment que le nucléaire « garantit l’indépendance énergétique de la France », 65% qu’il est « une énergie d’avenir » et 62 % « une énergie bon marché » [3].
Si certains font planer l’ombre d’une réactivation du projet Hercule de démantèlement d’EDF, plusieurs membres du gouvernement se sont exprimés avec force pour lever tous les doutes. Au cabinet de Bruno Le Maire , on confirme qu’« aucune décision n’a été prise sur une restructuration d’EDF et que [l’intention du ministère] est de garder un groupe intégré » [4]. Gabriel Attal, le 9 novembre lors de la séance de questions au gouvernement, n’aurait pas pu être plus clair : « Cela n’aurait aucun sens de monter au capital d’une entreprise comme EDF pour la démanteler ou la vendre par appartement. […] Le projet Hercule n’est plus à l’ordre du jour. » Lors de l’audition pour sa nomination à la tête d’EDF, Luc Rémont a indiqué aux députés de la commission des Affaires économiques qu’il présenterait sa « feuille de route » au printemps. La défense de l’intégrité d’EDF est en effet essentielle ; nous y veillerons. Le groupe aura un rôle stratégique, un nouveau statut de fournisseur/constructeur, qui le conduira à mener de front :
- les opérations de maintenance du parc nucléaire existant,
- le nouveau programme nucléaire à mettre en œuvre le plus vite possible (nous aurons besoin d’un plan de formation d’ingénieurs, de soudeurs, de tuyauteurs etc. car ce sont 300 000 emplois qui devront être créés d’ici 2030 comme l’a indiqué récemment le représentant de la filière nucléaire),
- le déploiement des EnR,
- l’adaptation des réseaux et la distribution d’électricité.
Une titanesque mission, une aventure enthousiasmante comme le fut le plan Messmer en son temps et qui pourra devenir le symbole de l’excellence industrielle de la France. Il en va également de son exemplarité du point de vue de l’urgence climatique et de l’atteinte de la neutralité carbone qui ne peuvent passer que par la réaffirmation du rôle clé de l’énergie nucléaire. A ce titre, le rachat des turbines Arabelle est significatif car il rend très largement possible la réussite d’une réindustrialisation décarbonée.
[4] Canard enchaîné, 16 novembre.