« Il est temps de répondre à l’offensive contre l’esprit des Lumières »

Tribune de Jean-Yves Autexier, président de Refondation Républicaine, et Sami Naïr pour Marianne, publiée le 6 mars 2023.

Selon un récent sondage de l’Ifop, un jeune Français sur six pense que la Terre est plate, et un sur quatre doute de la théorie de l’évolution ; 49 % des jeunes estiment que « l’astrologie est une science » : le sommeil de la raison montre ses effets.

Une éclipse et ses ravages

Depuis trente ans, on constate une forte offensive culturelle contre l’esprit des Lumières fondé sur la raison : fuite devant la science, recul des études scientifiques, peur des techniques, une vulgate pseudo « écologiste » a régné à peu près partout. La France, hier championne du monde des technologies nucléaires sûres, a abandonné ce fleuron, préparé sa liquidation, et notre avance est profondément entamée.

On fait croire que le défi climatique sera surmonté par l’austérité et le retour à la nature, alors que c’est l’innovation qui permettra de remplacer les énergies fossiles, de révolutionner les transports, de moderniser les procès de production. Pesticides et fongicides dans l’agriculture ont des conséquences fâcheuses ? Est-ce en abandonnant les cultures aux prédateurs ou aux herbes folles qu’on réussira, ou en inventant les pesticides, fongicides et engrais de nouvelle génération, plus ciblés et moins risqués ? Les transports sont polluants ? Ce n’est pas leur impossible suppression qui résoudrait le problème mais la recherche de nouveaux moteurs et de nouvelles sources d’énergie.

La souveraine liberté de l’esprit est colonisée par les dogmes communautaires et confessionnels. La loi de la majorité, règle d’or de toute démocratie, est mise en cause par la tyrannie des minorités. Le wokisme et la cancel culture en sont le fruit. Si 1 % des enfants souffrent de dysphorie de genre, faut-il changer le code civil pour que chacun puisse « choisir son genre » ou prendre en charge ces enfants avec bienveillance ? Faut-il brûler les peintures de Caravage parce qu’il fut un assassin, les livres de Gide parce qu’il fut pédophile, renverser les statues de Colbert parce qu’il suscita le Code Noir ? Ou éveiller à l’esprit critique et apprendre l’histoire ?

Progrès

L’idée même de progrès est décriée, l’universalisme n’a cessé de reculer au profit d’une fragmentation des sociétés. La raison est prise en tenailles entre l’idéologie verte de haine de la science et du progrès, et l’idéologie identitaire de haine de l’altérité. La mondialisation sans règles des échanges de biens, la libre circulation des capitaux, parce qu’elles ne sont pas mises au service des sociétés et du bien commun, éveillent à rebours des replis nationalistes et des réflexes xénophobes qui éloignent des idéaux humanistes de solidarité.

L’exaltation de l’individualisme est devenue la boussole de l’esprit public : publicité, consommation, une bonne part de la littérature et du cinéma, s’y adonnent à plein. L’idée d’une communauté de citoyens prenant son destin en charge est perdue de vue. L’humanisme est dégradé en un égoïsme consumériste. L’instrumentalisation du combat féministe dessert la cause de l’égalité des droits. L’idéal de la laïcité, fondé sur la liberté de l’esprit, est bafoué par d’insupportables assauts de bigoterie qui méconnaissent la distinction entre l’espace privé et l’espace public. L’islamisme séparatiste prospère en raison inverse de l’effacement des repères républicains. L’affaissement de notre effort industriel, la chute d’un secteur nucléaire assiégé par les idéologies anti-sciences, la fragmentation sociale qui cancérise la foi en l’avenir commun, tous ces maux résultent d’abord du manque de confiance dans notre nation.

Le bilan de cette longue emprise des obscurantismes est terriblement lourd. L’immense majorité de nos concitoyens n’en peuvent plus de ces dérives. Une vague de nausée répond à ces provocations incessantes.

Fixer un cap

Il est temps de réveiller l’esprit public et de faire retour à l’esprit des Lumières. C’est la Refondation Républicaine que nous appelons de nos vœux. Comment faire ? C’est par une action concrète sur la réalité que nous retrouverons confiance en nous-mêmes.

Nous proposons de fixer ce cap pour trois politiques publiques majeures.

  • Redresser notre industrie, maîtriser l’énergie, revaloriser le travail. L’idéologie verte avait périmé l’industrie ; de la gauche à la droite, c’était le même concert : « l’industrie sans usine » de M. Tchuruk, la délocalisation vers l’Asie, faisaient pendant aux discours anti-pollution. Résultat : notre déficit extérieur est supérieur à 160 milliards d’euros. L’urgence est donc dans une politique industrielle raisonnée, filière par filière, la relocalisation, la taxe carbone, la relance du nucléaire, la maîtrise des prix de l’électricité.
  • Relever l’indépendance de la France républicaine est nécessaire pour maîtriser son destin. L’Europe d’aujourd’hui n’est plus celle du traité de Rome ; elle remet à l’honneur les souverainetés parce que les crises en montrent le caractère indispensable. Nous disposons encore de plusieurs atouts pour ne pas nous laisser broyer par la tenaille sino-américaine, pour ne pas perdre notre autonomie, quand la Russie de Vladimir Poutine nous jette dans les mâchoires de l’OTAN. Le renouveau de l’effort de défense y concourt tout autant que la réinvention des solidarités francophones et rien ne remplace le primat du politique.
  • Refonder la citoyenneté par l’École est un acte de confiance dans la raison. Le cœur de la Refondation républicaine réside dans la formation des citoyens. Si 12 à 15 % des élèves maîtrisent mal la lecture et l’écriture en sortant du primaire, si 19 % des jeunes de 18 à 24 ans pensent que les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres, on est fondé à interroger l’École. Replacer les savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter – au cœur du primaire, relever l’amour de la langue et l’approche des sciences, former des citoyens – ce qui n’est pas la même chose que l’apprentissage du « vivre ensemble » : tout cela s’impose. C’est un défi historique pour la France.

Le retour des Lumières, après une longue parenthèse de trente ans est à nouveau à l’ordre du jour ! Une majorité de nos concitoyens est prête à mettre un terme à ces errements. Il est temps de clore cette période sombre et de réinventer avec fierté les noces de la nation républicaine et de la Raison.

Source : Marianne