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« Colère(s) française(s) »

Tribune de Claude Nicolet pour la Revue politique et parlementaire, publiée le 3 mai 2023.

Évidemment, le président de la République est accusé de tous les maux de la terre. A tel point que s’il a l’outrecuidance de déclarer que deux plus deux font quatre nous entendrons aussitôt que non, deux plus deux font bel et bien cinq.

Il faut reconnaître que le système turbule comme il l’a rarement fait. La réforme des retraites, la méthode employée, y est incontestablement pour beaucoup. J’entends et je mesure la colère qui s’exprime. Je l’entends et je la mesure d’autant plus qu’avec mes amis nous ne cessions de l’annoncer depuis des années, voire des décennies.

Avec Jean-Pierre Chevènement et quelques autres autres – de « l’autre bord », comme Philippe Séguin – nous mettions en garde contre les conséquences qui ne manqueraient pas d’advenir du fait de la tournure que prenait la construction européenne avec le traité de Maastricht après l’adoption de l’Acte unique.

Près de 40 ans que le peuple français (mais pas seulement) se fait plus ou moins tordre le bras pour intégrer une forme de destin prétendument commun mais qui n’est que le fruit hybride d’une technocratie voulant bien faire mais pensant souvent de travers en imaginant l’histoire des peuples européens comme deux parallèles ayant vocation à se rejoindre pour ne plus faire qu’un. En termes de géométrie c’est compliqué, en termes politiques encore plus.

Or l’histoire (et le tragique qui l’accompagne) est de retour. Et l’une des grandes questions qui se pose à nous comme à l’Europe désormais (et non uniquement à l’Union européenne) est la suivante : accepte-t-on de sortir de l’histoire ?

Cette question est redoutable car elle nous interroge sur ce que nous sommes, certes en termes de système politique, d’organisation institutionnelle et démocratique, mais également en termes culturels et de civilisations. Que sommes-nous au monde ?

Les changements gigantesques qui se déroulent devant nous, nous obligent à des questionnements fondamentaux. Comment conserver nos marges de manœuvres, notre influence, dans un univers qui désormais remet en cause plus de cinq siècles de domination occidentale et auquel, peu ou prou, nous avons participé, tout en développant notre propre modèle qui se veut universaliste et qui se concrétise dans la République laïque, sociale, une et indivisible ?

De ces bouleversements qui sont à l’œuvre, il n’est quasiment jamais question. Certes on évoque la Chine, nouvelle grande puissance, on parle de l’OTAN, on observe le basculement stratégique des États-Unis d’Amérique vers « l’’Asie-Pacifique »… mais pour le reste, bien peu de chose, sans oublier le chœur des atlantistes s’arrachant les cheveux et s’époumonant lorsque le président de la République rappelle simplement qu’allié ne veut pas dire vassalisé et que nous devons conserver notre autonomie stratégique.

Or, c’est le cœur du problème. La difficulté de cette indispensable mise en perspective contribue puissamment à obscurcir nos jugements, nos appréciations et au final notre capacité à nous projeter dans l’avenir en traçant une véritable perspective politique pour notre pays et pour l’Europe.

Reconnaissons tout d’abord que la chose n’est pas facile. Trois années de crise sanitaire, le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le choc de l’inflation que, pétris de certitudes néolibérales et d’orthodoxie budgétaire, beaucoup pensaient définitivement vaincue, le grand choc énergétique et agricole… autant d’éléments qui ont fait revenir à la mode les vieilles lunes que Jean Monnet et ses adeptes avaient mis tant d’ardeur à enterrer : la souveraineté. Le gros mot est lâché !

Face à des temps nouveaux, voire exceptionnels si ce n’est historiques, il faut penser différemment. Or, la situation politique de notre pays est bloquée, il faudrait être aveugle pour ne pas le constater. Mais les aveugles sont nombreux et pire, ils ne veulent pas voir.

Tous les vaincus des dernières élections s’imaginent en vainqueurs, faisant passer leurs gesticulations bruyantes, leur goût du spectacle, comme autant de masques pour cacher leur impuissance rageuse. Le carnaval ne fait pas une politique. Mais la solitude présidentielle ne suffit pas à faire un destin à la hauteur de l’histoire. Or c’est de cela dont il faut parler.

Comme disait le général de Gaulle: « Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. » Et cette ou ces réalités, il faut savoir les aborder. Cette colère, cette haine même qui s’expriment contre Emmanuel Macron viennent de très loin. Elles cristallisent dans une synthèse inquiétante les difficultés que rencontre le pays.

S’agit-il même de la réforme des retraites uniquement ? Je suis convaincu que non. On parle de mépris et d’arrogance. On parle de dictature, de totalitarisme nazi ou poutinien. On parle de coup de force, de crise démocratique, de crise politique, de crise de régime… Mais comment ne pas voir l’impuissance de ceux qui hurlent le plus fort, qui appellent au départ du président sans offrir d’alternative crédible, ce qui serait ouvrir la porte du pouvoir à Marine Le Pen. La NUPES en général et LFI en particulier sont désormais considérées comme étant plus dangereuses pour la démocratie que le Rassemblement national, faisant incontestablement le jeu de ce dernier.

Or il faut bien constater et reconnaître la faiblesse du discours politique et des analyses qui sont adressées aux Français.

La grande angoisse des Français est à la fois simple et redoutable, ils ont le sentiment que depuis trop longtemps leur destin leur échappe. Que la Nation est laissée à elle-même, qu’elle se délite sous les coups de boutoirs de choix extérieurs à elle, que l’explosion de la violence, de la délinquance, que l’offensive de l’islam politique, que l’importance de l’immigration remettent en cause l’idée que les Français se font d’eux-mêmes et que l’État, boursouflé et impuissant, n’est plus au service de la Nation.

La France de 2023, traîne ses angoisses et ses souffrances, et beaucoup de chantiers sont à mener en même temps. Beaucoup se sentent méprisés, déconsidérés, abandonnés par la « puissance publique » quand les milliardaires ne cessent de s’enrichir.

De Victor Hugo à Louis Malle, de Jules Ferry à Jean Moulin, de Pagnol à la guerre des boutons, de Gavroche aux 400 coups, de monsieur Louis Germain à Albert Camus… les Français s’accrochent à un imaginaire qu’ils refusent à juste titre d’abandonner mais auquel il faut aujourd’hui donner les moyens de se perpétuer.

Pour cela, quand le président de la République annonce l’indispensable réindustrialisation de la France, il a raison. Tout comme il a raison lorsqu’il dit vouloir rebâtir notre outil militaire, notre souveraineté énergétique, agricole, sanitaire, sécuritaire, scientifique… mais soyons honnêtes, rien de tout cela ne se fera en six mois. Il faut revenir en partie sur des décennies de choix politiques qui ont contribué à nous mettre dans une telle situation. La tâche sera très rude, nécessitera une volonté de fer et devra s’accompagner d’un discours sur le monde, sur ce que nous sommes et sur notre avenir.

C’est l’une de nos grandes difficultés. Emmanuel Macron souhaite élargir sa majorité. Encore une fois il a raison. Mais avec quelle grille d’analyse ? Avec la gauche et la droite telles que nous les avons connues ? Les Français n’en veulent plus, ils ont fait exploser ces vieux clivages lors de l’élection de 2017 et l’ont confirmé en 2022.

Il ne faut pas chercher à mettre en place un illusoire et impossible gouvernement d’union nationale. Il faut plutôt réfléchir à la mise en place d’un programme de Salut public qui rassemblera d’authentique républicains dans un mouvement de dépassement et non pas de ralliements individuels qui n’aboutiront à rien.

« Au-dessus de la gauche, au-dessus de la droite, il y a la République », disions-nous en 2002. A l’heure ou Jean-Luc Mélenchon prétend mettre « à bas la mauvaise République » dans une dangereuse escalade, c’est toujours d’actualité.

Source : La Revue politique et parlementaire

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