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« Si les gens se définissent par leur origine ou leur religion, il y a une inégalité fondamentale qui rend le jeu démocratique illusoire. »

CHEVENEMENT Jean-Pierre, plusieurs fois ministre dans les annees 1980 et 1990, depute, maire de Belfort, senateur. Longtemps membre du Parti socialiste, il est a l'origine du Mouvement des citoyens (MDC) et du Mouvement republicain et citoyen (MRC). Il se presente a l'election presidentielle de 2002

Entretien de Jean-Pierre Chevènement à Nice-Matin, propos recueillis par Lionel Paoli, le 14 juin 2023.

Jean-Pierre Chevènement : Pour deux raisons. La première, c’est la nécessité de vérifier la pertinence de mes intuitions. Je n’avais pas soutenu Emmanuel Macron en 2017, mais je l’ai fait en 2022; ai-je eu raison? [Il sourit] La seconde, c’est que je n’ai évidemment pas renoncé à exercer une influence dans le débat politique.

Jean-Pierre Chevènement : L’Union, telle qu’elle a été conçue, peut se révéler dangereuse. L’élargissement se fait toujours à l’Est, ce qui amène une confrontation inévitable avec la Russie.

Jean-Pierre Chevènement : Je n’envisage pas que la Russie puisse la gagner, mais je ne crois pas davantage qu’elle puisse la perdre, eu égard à son immensité. C’est une tension durable qui s’inscrit à l’horizon.

Jean-Pierre Chevènement : J’ai été surpris de l’évolution de la politique chinoise. Avec Deng Xiaoping, la prudence était de mise. Alors que Xi Jinping se montre relativement agressif. Il faut espérer que la Chine verra son intérêt dans le maintien de la paix. Tout conflit remettrait en cause sa position très favorable de premier exportateur mondial vers l’Europe et les États-Unis. Je doute qu’un dirigeant raisonnable prenne ce risque, mais il ne faut pas sous-estimer le nationalisme chinois. Qui aurait pu penser que Vladimir Poutine, un homme réputé intelligent, envahirait l’Ukraine?

Jean-Pierre Chevènement : Oui. Je suis très attaché à une certaine conception de la démocratie née de la Révolution française. Le communautarisme n’est pas compatible avec cela. Si les gens se définissent par leur origine ou leur religion, il y a une inégalité fondamentale qui rend le jeu démocratique illusoire.

Jean-Pierre Chevènement : Je ne crois pas avoir laissé un tel souvenir. On m’a même reproché l’emploi d’un vocable qui pouvait paraître un peu rude, mais qui était parfaitement justifié. Un « sauvageon », au Moyen Âge, désignait un arbre non-greffé. C’est exactement le problème de ces jeunes qui n’ont pas reçu une bonne éducation, qui ont été laissés à eux-mêmes et ne savent pas discerner les limites entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Malheureusement, la situation s’est aggravée.

Jean-Pierre Chevènement : Oui. La France a gardé des atouts. Nous avons une capacité d’épargne considérable, de l’ordre de 15 % du Pib, qu’il faut rediriger vers l’investissement. Nous maîtrisons toutes les grandes technologies, de l’informatique à la chimie, ainsi que la filière nucléaire que nous allons enfin relancer après douze ans d’errements.

Jean-Pierre Chevènement : Il y a, si je puis dire, deux écoles de pensée. D’un côté, ceux qui estiment que l’éducation est d’abord une affaire de transmission. De l’autre, ceux qui plaident pour une pédagogie constructive, et même constructiviste, pour aboutir à des résultats… qu’on ne voit pas venir ! [Il soupire] Le niveau a baissé, la France a perdu du terrain ; c’est incontestable. Mais ce n’est pas irréversible. Nous avons des capacités qui ne demandent qu’à être réveillées.

Jean-Pierre Chevènement : D’abord, en choisissant un bon ministre de l’Éducation nationale qui priorise la formation des maîtres. C’est la clef de tout ! Il faut recruter les futurs enseignants dans les filières sérieuses – maths, français… – plutôt que dans celles dédiées aux sciences de l’éducation. [Un silence] La France a commis beaucoup d’erreurs depuis 1968.

Jean-Pierre Chevènement : L’idée de cette réforme était judicieuse, mais elle aurait pu être mieux pensée et, surtout, mieux expliquée. Notre système pèche par un défaut de financement. Il faut trouver un moyen de joindre les deux bouts, et hélas, il n’y en a pas trente-six. La réforme voulue par Emmanuel Macron est plus volontariste que les précédentes. Mais elle se heurte à une difficulté inhérente au Président lui-même.

Jean-Pierre Chevènement : Emmanuel Macron a fait turbuler le système. Il a mis en minorité, à la fois, la droite et la gauche ! Il fait désormais l’objet d’un double rejet, à droite comme à gauche, ce qui est une situation originale… et peu confortable. J’observe cependant qu’après une mauvaise passe, il tend à remonter la pente.

Jean-Pierre Chevènement : À la gauche elle-même ! Elle a tracé des perspectives très ambitieuses, mais elle ne s’y est pas tenue. Elle a même changé de cap en permettant à la Commission européenne de mettre à l’équerre l’économie, en la subordonnant au seul principe de la concurrence. Les eurocrates ont eu quartier libre pour harmoniser les législations, sans aucune étude d’impact valable ! La gauche paye encore son manque de loyauté.

Jean-Pierre Chevènement : À l’époque, je pensais que la gauche pourrait redresser son parcours. Je me suis aperçu tardivement, à partir de 2001, qu’elle n’avait rien changé à ses fondamentaux sociolibéraux. Sur des questions de principe, comme l’unité de la République, elle pouvait montrer beaucoup de myopie et de faiblesse.

Cette thèse est ridicule. Le Pen a fait 16,86 % en 2002; il avait obtenu 14,39 % en 1988. Sa fille a récolté 23,15 % des suffrages en 2022. Chevènement a bon dos ! Je me suis présenté pour préserver une gauche fidèle à ses valeurs. Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter.

En reniant l’héritage des Lumières, ils se sont désolidarisés de la gauche historique.

S’il lui arrive de me demander mon avis, je le lui donne. Et même s’il ne me le demande pas – par exemple sur la Corse ou sur le ministre de l’Éducation nationale. Le président Macron a de grandes qualités : il est vif, intelligent, mais il lui arrive de se contredire. On ne sait plus où il met sa propre vérité. [Il sourit] Il est quand même difficile de flétrir le communautarisme et, en même temps, de nommer Pap Ndiaye rue de Grenelle !

Source : Nice-Matin

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