Tribune de Baptiste Petitjean, membre du Bureau de Refondation Républicaine, animateur du groupe de travail « Produire », publiée le 18 octobre 2023 dans La Revue politique et parlementaire.
« En juin 2023, le solde commercial de la France poursuit son amélioration ». Telle était la première phrase du point mensuel des Douanes, publié au cœur de l’été, le 8 août dernier. « Bons résultats », « indicateurs positifs », s’enthousiasmaient dans la foulée certains observateurs. Certes, en passant de -163,3 Mds€ en 2022 à -143,7 Mds€ sur douze mois (FAB/FAB, juillet 2022 à juin 2023), le solde commercial s’était amélioré. L’objectif de rééquilibrage de notre commerce extérieur est toutefois loin d’être atteint. En août, la balance commerciale reculait cette fois ci légèrement (à -8 Mds €). La situation du commerce extérieur de la France, donc des capacités industrielles nationales, reste extrêmement fragile, pour ne pas dire préoccupante pour l’avenir. Dans une autre note (trimestrielle cette fois), les Douanes écrivent justement que « le solde commercial reste plus dégradé que sur la période 2000-2020 ».
A la fois illustration et carburant du décrochage industriel de la France, le déficit commercial des produits manufacturés reste très élevé : -30,2 Mds€ (CAF/FAB) sur le 1er semestre 2023. Il est responsable à lui seul de presque la moitié (45 %) du déficit commercial total (-66,8 Mds€) au 1er semestre 2023. Le déficit commercial de l’industrie automobile, regroupant les véhicules et leurs équipements, s’est quant à lui alourdi de 2,5 Mds€ sur les douze mois allant de juillet 2022 à juin 2023 par rapport à 2022 et dépasse désormais largement les 20 Mds (-22,4). En ne considérant que les voitures neuves 100 % électriques, les importations ont plus que doublé en moins de deux ans, passant de 3,7 Mds € en 2021 à presque 8 Mds € sur les douze derniers mois. Si le solde manufacturier s’améliore de 20 % environ au 1er semestre par rapport à la même période en 2022, cette tendance est plus forte en ce qui concerne la balance des produits du secteur énergétique (+28 %). On peut néanmoins se féliciter de l’excédent retrouvé s’agissant de l’électricité (+1,8 Mds€ depuis le début de l’année), grâce en grande partie à la remise en route de plusieurs réacteurs nucléaires mis temporairement en sommeil pour effectuer des réparations liées notamment à la corrosion.
La France demeure également lanterne rouge au classement européen des balances commerciales rapportées au PIB au 2ème trimestre 2023. Bien que cet indicateur s’améliore, il était d’environ -5 %, derrière l’Espagne (-4 % du PIB), l’Italie (+1,5 %) et bien entendu l’Allemagne (+4 %). Au total, les exportations françaises (301,2 Mds€) sont plus de deux fois plus faibles que les exportations allemandes sur le 1er semestre 2023 (798 Mds€). L’Allemagne a en effet renoué avec ses succès commerciaux : presque 100 Mds€ d’excédent (98,7) sur la première moitié de l’année 2023, soit plus du double que sur la même période en 2022. Pour le seul mois de juin, l’excédent commercial allemand a atteint 18,7 Mds€… Toutefois, ces résultats sont autant la conséquence de l’augmentation des exportations (+ 3,3 % au 1er semestre 2023 par rapport à la même période en 2022) que du recul des importations (- 4,3 %). L’Allemagne, qui peine à sortir de la récession, a vu sa production industrielle régresser de 1,5 % en juin par rapport au mois précédent puis de 0,8 % en juillet [6], toujours en dessous de la période pré-covid. Parallèlement, la demande interne se comprime. Cette combinaison a tendance à réintroduire, de manière plus subie que choisie cette fois-ci, les déséquilibres internes à la zone euro bien identifiés dans les années 2000 et 2010.
Dans son Discours à la jeunesse en 1903, Jean Jaurès rappelait que « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». Alors que les objectifs d’autonomie stratégique, de souveraineté industrielle, de création d’emplois bien rémunérés, de cohésion sociale et de stimulation de l’innovation font désormais consensus, regardons en face la situation très dégradée de pans entiers de notre appareil productif. Ne nous leurrons pas sur l’ampleur de la tâche afin de relever avec méthode le défi immense qui est devant nous. Alors que ce dernier concentrera nos efforts pour les 50 prochaines années [8], c’est désormais sur les conditions de la renaissance industrielle que nous devons nous accorder en urgence [9].
Grâce à un nouveau mode d’intervention de l’Etat dans l’économie et un redressement planifié de ses capacités productives, la France pourra assurer durablement son rayonnement. Cette doctrine devrait reposer :
- au plan vertical, sur l’identification des chemins, filière par filière, voire produit par produit, propices à une reconquête industrielle,
- et au plan horizontal sur une poursuite de la politique de compétitivité déployée depuis 2017 (baisse des impôts de production, de l’impôt sur les sociétés, soutien des plans France Relance puis France 2030 à l’activité et aux investissements, dispositif des sites industriels « clés en main », projet de loi Industrie verte, plan « Osez l’export » de 125 millions d’euros dans la continuité de la « stratégie de Roubaix » …) et sur un accompagnement des initiatives privées qui consisterait par exemple à élaguer le maquis normatif et les surtranspositions par rapport aux règles fixées à l’échelon européen.
Le Président de la République a donc raison d’insister sur le volet réindustrialisation du cap qu’il a présenté en mars dernier. Certains indicateurs semblent dessiner une perspective qui peut nourrir l’optimisme : longtemps négatif, le solde des créations et des destructions d’emplois industriels a été positif depuis 2017, à l’exception de l’année 2020. Le nombre d’emplois salariés dans l’industrie est passé de 3 143 900 au début de l’année 2017 à 3 252 000 à la fin du 1er trimestre 2023 [9], soit presque 110 000 emplois industriels supplémentaires sur la période. Toutefois, au regard des résultats du commerce extérieur de la France, il faut humblement reconnaitre que le plus dur reste à faire. L’Institut national du service public (INSP, ex ENA) ne s’y est pas trompé : « Comment réduire le déficit de la balance commerciale française ? », tel était le sujet de l’épreuve d’économie du concours d’entrée 2023.
Source : La Revue politique et parlementaire