Retour sur le Congrès de Refondation Républicaine de Paris (Académie d’agriculture) du 16 décembre 2023
« Notre parole sera utile parce qu’elle est libre », par Jean-Yves Autexier, Président de Refondation Républicaine
Il y a un an et demi, dans cette même salle, Jean-Pierre Chevènement annonçait la création de Refondation Républicaine et son soutien à la candidature d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République.
Nous le rappelions avec clarté. L’exigence d’une souveraineté énergétique, industrielle, agricole, d’une planification retrouvée puisait à bonne source et nous avons retrouvé dans cette ambition, les leçons tirées de la crise sanitaire, de l’effondrement des tabous de Maastricht, du retour du réel face aux rêveries d’une Europe fantasmée.
Ce choix avait surpris quelques-uns de nos amis. A vrai dire il s’imposait, tant la gauche avait oublié le peuple et la droite la nation. Les dérives qui ont suivi à gauche, où pour sauver des sièges, socialistes et écologistes se sont réfugiés sous l’aile de la France Insoumise, où à droite, où la tentation d’une alliance avec le RN est toujours présente, interdisait à un Républicain conséquent de s’abstraire du débat majeur pour l’orientation du pays.
Car la France républicaine est menacée.
D’abord de l’intérieur, par la montée depuis des décennies des individualismes, la fragmentation communautariste, l’affaiblissement de l’École, l’oubli des devoirs de la citoyenneté. La souveraineté populaire est enfermée dans le carcan des contraintes extérieures et des traités européens signés voici trente ans. Et, depuis des années, le désintérêt pour l’industrie et la production de manière générale, les erreurs graves en matière d’énergie, le déficit de nos échanges extérieurs privent notre modèle de protection sociale des ressources nécessaires et nos services publics des moyens indispensables. L’édredon atlantiste veut étouffer la voix d’une France indépendante. Pris en tenaille par la rivalité entre la Chine et les États-Unis, l’Europe ne parvient pas à tracer une voix autonome et certains voudraient même l’égarer dans un affrontement sans fin avec la Russie.
Pour redresser le pays, il n’y a pas d’autre choix que la cohérence d’un projet républicain.
Oui, il y a un risque grave de fragmentation de notre société, vers « l’archipel français ». Ce n’est pas entièrement nouveau. Depuis des siècles notre pays a dû construire son unité politiquement. Le titre du premier chapitre de Braudel sur l’identité de la France est précisément « La France se nomme diversité ». Nous avons besoin, en permanence, de projets politiques unifiant pour faire nation. Honte à ceux qui flattent les replis communautaires pour obtenir des voix. Bénéficier de la confiance des électeurs des banlieues populaires devrait appeler à de grandes responsabilités : celles d’élever la conscience politique vers la citoyenneté non de flatter les réflexes identitaires. Celles de contribuer à former des citoyens et non des clientèles électorales. Honte aussi à ceux qui encouragent avec le wokisme ou la cancel culture la haine de soi. Comment réussir l’intégration des nouveaux citoyens si chaque jour on se complait dans la détestation de la France, de son histoire, de sa culture ? Et bien-sûr à nos yeux la laïcité doit être fermement défendue. Nous ne voulons pas d’abayas à l’École et pas de cérémonie à caractère religieux à l’Elysée ! J’ai connu les iftar de ramadan ou les fêtes de Norouz à l’Hôtel de Ville de Paris : tout cela a été arrêté il y a des années et c’est tant mieux ! Le discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux était mieux inspiré et donnait le bon cap.
Surtout, la laïcité, à nos yeux, va bien au-delà : c’est la distinction du spirituel et du temporel, la souveraine liberté de l’esprit, l’héritage des Lumières. Nous sommes tout autant attachés au principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi et nous éprouvons beaucoup de défiance à l’égard des formules d’autonomie : la loi doit être la même pour tous, d’Ajaccio à Dunkerque.
Beaucoup de nos compatriotes, face aux difficultés et aux bouleversements, cherchent refuge dans l’extrême droite. Lassés d’une immigration constante, révoltés par les attentats islamistes, désespérés par la disparition des services publics ou les déserts médicaux, ils croient trouver dans le Rassemblement national une alternative. En mesurent-ils les dangers ? La démagogie identitaire ne résoudra pas les problèmes du pays, mais les discours xénophobes sont aujourd’hui explosifs. On a vu cette semaine s’allier dans un même vote ceux qui refusent l’immigration et ceux qui l’encouragent. Les députés de la France Insoumise ne veulent pas jouer au football avec ceux du Rassemblement national, mais veulent bien voter ensemble. Notre pays s’enfonce dans ce spectacle dérisoire où tout est posture, et rien n’est pensé.
Face à de véritables appels à la guerre civile, le respect ferme de nos lois et une politique migratoire réaliste vont de pair. Les Républicains ne peuvent pas aborder la question de l’immigration sans aborder la question des pays d’origine. Les causes précèdent les effets. Faillite des États issus de la décolonisation, crise démographique, désastres du néo-libéralisme plaqué sur ces États fragiles : l’immigration est d’abord une conséquence d’une mondialisation sans règle. Il s’agit donc d’agir sur les deux faces d’un même sujet : refonder nos rapports avec le Maghreb et l’Afrique, et, en France, maîtriser les flux. Cela va de pair avec une action résolue d’intégration, mais aussi, disons-le, de soutien à ceux qui aspirent à une assimilation complète à notre culture républicaine. L’assimilation ne se décrète pas, ne s’impose pas, mais ce n’est pas un gros mot. Ceux qui ont choisi ce chemin doivent être encouragés.
Estelle Folest, dans un moment, nous parlera de l’École et de la formation à la citoyenneté. Disons-le, les préoccupations de Pape N’Diaye n’étaient pas les nôtres. Et nous voyons à présent avec satisfaction revenir rue de Grenelle des thèmes qui nous sont chers : la priorité aux savoirs fondamentaux à l’École, l’éducation à la laïcité, l’autorité des maîtres. La tâche est immense. L’instruction civique par exemple doit faire partie des épreuves du bac ; la généralisation du service national universel doit être préparée.
Autre priorité de notre mouvement : Produire. Car sans production, le financement de notre modèle social est compromis, nos échanges extérieurs sont déficitaires, nos équilibres économiques bouleversés. L’industrie, première source de richesses de notre pays, commence à se relever, avec une hausse de 40 % de l’investissement industriel et la création de 100 000 emplois industriels qu’on n’avait pas connue depuis dix ans. L’énergie nucléaire hier vouée aux gémonies par la chorale des écologistes et des socialistes, est enfin remise à sa place, bien que la vigilance soit de mise quant à la conclusion finale de l’accord de rachat de la branche nucléaire de GE par EDF… Une vraie politique industrielle appelle maintenant à une action par filières, par produits, capable de réduire les importations inutiles, car notre déficit commercial est impressionnant. Le néo-libéralisme et le déni du rôle de l’État ont été cruels pour la France. Le retour du réel, la pandémie, la guerre en Europe, ont mis à bas les totems qui nous ont affaiblis depuis Maastricht, et rappellent que l’action publique est irremplaçable. Nous refusons le retour à des programmes d’austérité prônés à Bruxelles, qui nous ont dans le passé été si néfastes et qui empêchent de préparer l’avenir. Le programme de renouveau de l’énergie nucléaire peut seul être à la hauteur des besoins prévisibles du pays, de l’objectif de réindustrialisation et des engagements en matière climatique.
Et puis, la France doit recouvrer une voix forte et indépendante dans le monde. Cela commence par l’Europe qui peut s’appuyer sur ses nations, « briques de base de la démocratie », au lieu de les affaiblir en ayant recours à des mécanismes de contournement technocratique. Un élargissement inconsidéré à 10 nouveaux pays à l’est de notre continent, dont l’Ukraine, changerait assurément la nature de l’Union européenne, et nous devrons nous opposer à cette fuite en avant porteuse de déséquilibres internes. De même la règle de l’unanimité au Conseil an matière de politique étrangère doit être préservée, faute de quoi l’indépendance de la France disparaîtrait, en même temps que son siège au Conseil de Sécurité. Le « grand saut fédéral » promu depuis les années 80 est une illusion, une fuite en avant, qui se brise sur la réalité. Dans les crises actuelles, celle de l’Ukraine, celle du Proche-Orient, face aux défis de l’énergie, de l’intelligence artificielle, qui est capable de définir un intérêt général européen ? Non, la Fédération n’est pas en vue. Il vaut mieux faire confiance en une Europe coopérative des nations. Dans laquelle la France peut conserver son indépendance, spécialement en matière de politique étrangère. Et la remise à niveau de notre budget de défense est à cet égard importante. Nous ne sommes pas une parcelle de l’Occident. Nous pouvons faire entendre, face aux bouleversements du monde et au retour des conflits, la voix de la raison : en Ukraine pour la construction d’une issue politique et au Proche-Orient pour la recherche d’une solution à deux États, car il n’y en a pas d’autre.
La montée des périls exige de fixer un cap clair, ferme et ambitieux auquel peuvent se fier la majorité de nos concitoyens. La Nupes a bien trompé son monde en 2022, en laissant croire à l’union de la gauche : c’était en réalité, et pour quelques sièges, laisser les clés à la France Insoumise, tourner le dos à la laïcité, accepter la complaisance avec l’islamisme que, à la différence de Mélenchon, nous n’avons jamais confondu avec l’islam, flatter les séparatismes de toute nature, préférer l’outrance à l’échange d’arguments fondés en raison. De l’autre côté, l’extrême-droite abuse beaucoup de nos concitoyens et sa démagogie trompeuse laisse croire aux solutions simplistes contre « le grand remplacement » ou « le grand déclassement ».
Pour notre part, nous continuons à dire ce que nous pensons, avec la volonté de peser sur le cours des choses, et d’armer le bloc républicain qui a besoin de cohérence. Baptiste Petitjean va dans un instant traiter de notre priorité à la production et mesurer ce qui avance et ce qu’il faut maintenant développer. Claude Nicolet nous fera part des points-clés qui font notre identité en matière de reconquête de l’indépendance et Estelle Folest, notre députée traitera de l’École, de la formation à la citoyenneté avec le même souci.
Au fond, de quoi s’agit-il ? De refaire nation en faisant fond sur les capacités et les valeurs de notre peuple. Pour secouer les corsets qui entravent sa liberté, des atteintes aux traités à Bruxelles au gouvernement des juges à Paris. Pour défendre ses droits contre les atteintes à sa souveraineté. Pour reprendre le propos de Jean-Pierre Chevènement dans son récent ouvrage « Refaire la France », « tenir la République debout, et permettre d’agréger de nouveaux Français à la communauté nationale ». Entendue hier, oubliée parfois, retrouvée demain, notre parole sera utile parce qu’elle est libre.
« Produire », par Baptiste Petitjean, membre du Bureau exécutif
Baptiste Petitjean a présenté les analyses et les activités du groupe de travail « Refondation Industrielle » en 2023. Plusieurs rencontres et débats ont été organisés tout au long de l’année et nous ont permis d’approfondir notre réflexion sur la construction dynamique du processus de réindustrialisation, de mettre nos hypothèses à l’épreuve du débat et d’améliorer nos propositions de voies d’action :
- le 28 mars 2023, autour de la députée des Hauts-de-Seine Maud Bregeon (Renaissance), sur la nouvelle politique énergétique de la France ;
- le 27 juin, autour de Laurent Cappelletti, professeur au Cnam, expert à l’Institut Sapiens, sur la question du travail ;
- le 26 septembre autour du député du Val-de-Marne Guillaume Gouffier-Valente (Renaissance) sur la politique industrielle de filière, prise sous l’angle de la filière économique du vélo ;
- le 19 octobre autour du député du Doubs Eric Alauzet (Renaissance) sur le contexte (national, européen, mondial) dans lequel peuvent se dérouler l’amplification du mouvement de reconstitution des capacités productives de la France et la réindustrialisation verte ;
- le 16 novembre 2023, autour de l’économiste Thomas Grjebine, sur les conséquences de la politique de la demande menée notamment à la fin des années 90 et dans les années 2000 sur la structure de l’économie de la France. Nous avons également abordé les ingrédients d’une stratégie de filière et la mise en place d’une planification légère et ciblée dans l’objectif d’approfondissement du tissu productif national.
I. La reconquête de la production, de toutes les productions (agricole, industrielle, énergétique et intellectuelle) est bien plus qu’une ligne dans un programme, bien plus qu’un élément de discours.
Considérant l’état de la France, les multiples fractures qui la traversent, le redressement de la production dans toutes ses composantes (agriculture, industrie, énergie) correspond à un projet de société car elle peut refaire de la France une grande nation économique, technologique et sociale. Une puissance qui continuera de compter à l’avenir, en Europe et dans le monde. La reprise productive est donc la clé de voûte d’un projet national mobilisateur à court, moyen et long termes et c’est la raison pour laquelle notre mouvement d’idées a beaucoup investi ce champ de réflexion cette année.
De la reconstitution des capacités productives de la France dépendent le rétablissement de notre balance commerciale, la soutenabilité de notre modèle social et la transition verte.
Pas de rééquilibrage de notre solde commercial sans réindustrialisation.
Il ne peut y avoir de sursaut productif sans effort de lucidité. Le déficit commercial de la France est :
- Massif : il a grimpé à 190 milliards d’euros CAF/FAB en 2022, et devrait se situer en 2023 autour de 100 milliards d’euros, en raison de la résorption de la facture énergétique et du rétablissement de la production d’électricité nationale d’origine nucléaire.
- Généralisé : les deux tiers des 10 000 produits recensés par les Douanes présente un déficit commercial. Le déficit commercial en matière de produits manufacturés représente, ces derniers mois, environ la moitié du déficit commercial total.
- à l’égard de toutes les régions du monde.
Pour mesurer la gravité du décrochage productif de la France, il suffit de regarder du côté de l’Allemagne qui, malgré la récession et la baisse de production, a renoué avec les excédents commerciaux record des années 2010. En octobre l’Allemagne dégageait un excédent de près de 18 milliards quand la France affichait un déficit de 10 milliards. L’excédent commercial de l’Allemagne pour 2023 devrait avoisiner les 190-200 milliards… La France est la 3ème puissance industrielle de l’UE, du point de vue de la production et des exportations, derrière l’Allemagne, bien entendu, et l’Italie. En un an l’Allemagne a exporté à hauteur d’environ 1600 milliards d’euros et la France 600.
Pas de modèle social pérenne et efficace sans reconquête la production.
Notre modèle social, l’un des plus généraux au monde, hérité du Conseil national de la Résistance, fait partie de l’identité républicaine de la France. Il est très lié au travail puisque son financement est assis sur les cotisations des travailleurs et des entreprises et donc sur le dynamique économique du pays.
Il faut aussi faire le lien avec le mur démographique qui est devant nous, et vers lequel nous fonçons pied au plancher. D’un côté le vieillissement de la population aura pour effet un accroissement de dépenses de protection sociale et de santé (6 points de PIB de déficit public en plus selon France Stratégie). De l’autre, la baisse des naissances et la perspective d’un solde naturel négatif à moyen terme auront des conséquences sur la taille de la population active et donc sur le nombre de cotisants… Les contraintes démographiques sont donc une incitation à reconquérir production et à stimuler une dynamique économique ambitieuse.
Pas de transition écologique sans réindustrialisation.
Si la lutte pour l’écologie, contre l’augmentation des gaz à effet de serre et le changement climatique, consiste à avoir les yeux braqués sur nos émissions nationales, comme si le phénomène n’était pas planétaire, comme si la France était une île, alors le moyen le plus efficace d’atteindre cet objectif c’est la désindustrialisation ! Les délocalisations ont permis de réduire les émissions du secteur industriel français depuis les années 90, ce qui n’a pas stoppé le changement climatique et l’augmentation d’évènements climatiques extrêmes… Ainsi il ne faut pas regarder simplement nos émissions mais plutôt notre empreinte carbone, c’est-à-dire un indicateur incluant les émissions liées à nos importations. C’est à une certaine idée de notre responsabilité environnementale au plan global que nous sommes renvoyés, car il n’est pas acceptable d’exporter nos externalités négatives. Or faut-il rappeler que les émissions de gaz à effet de serre liées à nos importations représentent plus de la moitié de notre empreinte carbone ?
La capacité de la France à mener cette évolution verte de l’économie apparait comme une évidence, considérant son mix énergétique décarbonée, nos hauts standards environnementaux de production, dans tous les secteurs. L’agriculture française, par exemple, figure en haut du classement de l’indice de durabilité alimentaire réalisé par The Economist. La contribution de la France à la lutte mondiale contre le changement climatique passe sa réindustrialisation ! Mais nous n’y arriverons pas par des injonctions, des règlements superposés, enchevêtrés, des sur-transpositions… En revanche nous connaissons les efforts d’investissement qu’il faut fournir (entre 60 et 70 milliards d’euros par an selon le rapport Mahfouz-Pisani).
La crise du Covid aura eu un mérite : faire advenir un consensus national sur la nécessité de reconquérir la production, et notamment sur les biens dits essentiels. Mais le consensus sur les ingrédients du redressement productif est plus difficile à faire advenir.
II. Que peut l’État pour accompagner concrètement et de manière résolue le mouvement de réindustrialisation ?
Nous pensons que la nouvelle politique industrielle de la France doit être conçue en suivant deux axes :
Un axe horizontal, correspondant à des politiques de stimulation de la compétitivité et d’attractivité du site de production France.
Un grand nombre de mesures ont été mises en place depuis une décennie : loi Pacte, baisse des impôts de production, baisse de l’impôt sur les sociétés … Ces dispositions ont provoqué un frémissement. Plus de 110 000 emplois industriels nets ont par exemples été créés depuis 2017 ; il y a eu dans les dernières années plus d’ouvertures d’usines que de fermetures.
Bien que l’hémorragie industrielle ait été combattue et arrêtée, le redressement productif a désormais besoin d’un second souffle.
Un axe vertical, avec une politique planifiée de filière.
Tout l’enjeu réside dans l’identification des domaines, voire mêmes des produits les plus propices à un effort de localisation de la production en France. Pour accompagner ce processus de sélection, le rôle de la puissance publique est décisive et devrait s’organiser autour de la « critérologie » suivante : l’existence d’une demande nationale (1) et internationale (2) pérenne, et des atouts productifs (amont, aval, histoire, recherche, compétences humaines, technologie…) que nous possédons pour engager un plan de reconquête (3).
Ensuite, sur chaque plan de redressement productif, il faudra lever les verrous liés aux « 3F+ 1S » : Foncier, Formation, Financements, Simplification (administrative et normative).
À partir de cette grille de lecture, le groupe de travail Refondation industrielle se fixe pour objectif, en 2024, d’identifier les 300 produits sur lesquels la France pourra porter un effort spécifique de reconquête. Seul un tel effort, impliquant un nouveau mode d’intervention de l’État dans l’économie, permettra de restaurer nos comptes extérieurs, de garantir notre souveraineté, notre puissance et notre prospérité, et d’assumer nos responsabilités environnementales.
La France dispose de très nombreux atouts pour mettre en place un outil productif durable. Mais pour être tout à fait réaliste, nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous, car des puissances très offensives (les États-Unis et la Chine) mènent une bataille économique très dur. L’Europe et la France n’ont d’autre choix que de s’extraire du « piège de Thucydide » si elles ne veulent pas sortir de l’histoire. Le redressement productif est un combat à haute intensité que nous devons mener avec une grande détermination et que nous avons le devoir de remporter.
« Reconquérir l’indépendance », par Sami Naïr, ancien député européen, et Claude Nicolet, membres du Bureau exécutif »Reconquérir l’indépendance, par Sami Naïr, ancien député européen, et Claude Nicolet, membres du Bureau exécutif
La France n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle a porté la voix de la justice et du droit dans le monde. Que ce soit dans la bouche de Clemenceau « La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal », 11 novembre 1918. Mais pour aller à l’idéal, encore faut-il tenter de comprendre le réel pour paraphraser Le Grand Jaurès.
1. Que ce soit en 1968 avec le discours du Général de Gaulle à Phnom Penh, qui disait le respect de la souveraineté des peuples et le droit international face aux bombardements américains au Vietnam, ce qui n’a d’ailleurs pas empêché la France de devenir le siège des accords de paix entre Vietnamiens et Américains ; ou encore en 2003, au moment de l’agression contre l’Irak par les États-Unis et la menace du véto de la France au Conseil de sécurité, c’est la même attitude qui prévaut : celle de la voix de la France pour faire respecter la justice et le droit dans un monde toujours dominé par la force et l’arbitraire. D’autant plus que le monde qui est le nôtre est en pleine redéfinition, en plein bouleversement. De nouvelles puissances émergent, ce qui est une bonne chose mais cela doit être pensé, notamment au regard de ce que nous sommes. « La pire des choses, disait notre président de retour de Pékin, serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ». L’Union européenne et surtout l’Europe de l’Ouest ont tenté d’évacuer la problématique de l’indépendance et de la souveraineté. Or cette question revient en force dans le monde y compris au sein de l’Union européenne. Une formule de 2002 avait théorisé ce « retour du refoulé ». Au-dessus de la droite, au-dessus de la gauche, il y a la République, force de la France.
2. L’indépendance n’est pas négociable, parce qu’elle tient du mandat que le peuple souverain délègue à ses dirigeants, et ceux-ci en toutes circonstances et choses doivent le respecter. Notre participation solidaire à l’UE est un choix stratégique, non pour amenuiser notre indépendance mais pour construire une puissance européenne indépendante, capable de faire prévaloir des valeurs qui s’inscrivent dans notre propre identité universaliste, celle de la solidarité et de la paix dans le monde. C’est dans ce seul esprit que nous concevons l’interdépendance européenne, qui n’est pas et ne peut être conçue, par nous, comme un accord pour un consensus minimum entre des parties que tout oppose par ailleurs en politique internationale. L’adhésion des Français au projet européen se faisait tant que celui-ci était compris comme étant « la France en grand ». Non par volonté hégémonique mais comme moyen de nous articuler avec le monde, avec l’humanité. Ce qui n’a rien à voir avec le mondialisme, la mondialisation néolibérale mais tout à voir avec l’universalisme républicain, le siècle des Lumières enchâssé dans notre imaginaire.
3. Or, cette logique de plus petit commun dénominateur est malheureusement celle qui prévaut aujourd’hui en Europe, la dernière preuve en ayant été donnée par la réunion du Conseil, le 26 octobre 2023, à Bruxelles, face aux tragiques événements du Proche- Orient. Que cette Europe du consensus mou, alors qu’elle a condamné à juste titre les attaques terroristes du Hamas du 07 octobre dernier, n’ait pas été capable de se mettre d’accord pour exiger un cessez-le-feu à Gaz, est emblématique des divisions profondes qui la traversent et de son impuissance à se faire entendre.
4. Face à cette réalité, la politique étrangère de la France doit refuser d’être oblitérée par des accords intereuropéens qui nous paralysent et nous ravalent au statut de nation de seconde zone. L’indépendance nationale est garante de la survie de la nation, et celle-ci est l’alpha et l’oméga de la politique étrangère et de défense française. L’interdépendance européenne ne doit pas créer la dépendance soumise de la France. Il est indispensable de rappeler la constance de nos analyses notamment sur ces questions depuis maintenant 40 ans. Faire de la politique c’est être dans un dialogue constant avec l’histoire et le temps long, seule façon de comprendre, de vouloir et d’agir. Or le traité de Maastricht la replie sur une Europe nordique aux barrières hautaines ! Qu’il me soit ici permis de citer Jacques Berque, alors professeur au Collège de France, « Encore un pas, elle ne serait plus que la vassale comblée d’un Saint-Empire germanique des banquiers… » Cette vision, juste, nous voyons bien à quel point elle nous a désarmés, rapetissés et nous empêche de comprendre et de participer à la marche du monde.
5. L’Europe présente aujourd’hui une « Boussole stratégique » en matière de politique de défense et de sécurité aussi vague qu’incertaine ; elle a d’ailleurs été vite oubliée avec la guerre d’Ukraine, qui a entonné un seul mot d’ordre pour les 27 pays de l’UE : tous dans et pour l’OTAN alors que le président de la République avait émis des doutes légitimes sur ce que l’OTAN était devenue, elle qui était selon Emmanuel Macron « en mort cérébrale » ! La France ne peut s’adosser à ce « sauve qui peut », parce que nous avons les moyens d’exister par nous-mêmes. C’est cela qu’il faut faire revivre aujourd’hui, alors que chez beaucoup de nos partenaires, la « demande d’empire », celle d’un protecteur étranger à l’Europe, est devenue une seconde nature. Dans ce cas comme dans d’autres, la volonté d’être afin de persévérer pour paraphraser Spinoza, ne peut exister qu’avec la conscience de soi.
6. En un mot : l’interdépendance économique européenne ne doit pas signifier la dépendance politique au nom du plus petit commun dénominateur.
7. Il faut faire le bilan : oui, depuis une vingtaine d’années, et en dépit de positionnements originaux au début de la guerre en Ukraine qui pouvaient rappeler le rôle majeur de la France en Europe, nous assistons à une régression de notre influence et de notre capacité d’indépendance.
8. Je n’insisterai pas ici sur ce point : il suffit de rappeler que cela va de pair avec notre positionnement vis-à-vis de l’OTAN, surtout concernant l’entrée de l’Ukraine ; avec l’indéfinition de notre conception de l’autonomie stratégique européenne, c’est-à-dire en fait avec l’incapacité de peser sérieusement sur la construction de la défense européenne vis-à-vis de l’OTAN. Et cela dans un contexte de fortes augmentations, partout, des budgets militaires orientés, surtout en Allemagne et en Pologne, vers le renforcement structurel de la dépendance d’avec l’OTAN, donc les États-Unis, sans parler de notre affaiblissement stratégique en Afrique, de notre attitude déconcertante au Moyen-Orient, etc. Le tableau est loin d’être satisfaisant !
9. Tous ces éléments, et bien d’autres encore, soulignent l’impérative obligation de défendre les fondamentaux de notre politique d’indépendance nationale.
10. D’autant plus que deux questions sont désormais à l’ordre du jour du Conseil européen qui appellent à une vigilance extrême. La première question concerne l’extension et la généralisation du vote à la majorité qualifiée. L’Allemagne ayant, depuis le discours de Scholtz à Prague fin aout 2022, changé de position ; elle est désormais pour, absolument, dans une perspective qui, au fond, devrait conforter son rôle majeur et même dirigeant dans l’espace européen. Or il y va de l’intérêt national. Pour nous, toute politique qui viendrait à remettre en question le vote à l’unanimité au Conseil pour les matières qui relèvent de la souveraineté nationale, est inacceptable. C’est une ligne rouge. La franchir ne serait pas acceptable pour nous. Nous estimons que l’article 31 du Traité de Lisbonne, qui permet des décisions de politique étrangère à la majorité qualifiée, est déjà allé assez, voire trop loin et nous y avons consenti à condition que le principe de l’unanimité fut maintenu. Nous n’accepterons pas d’aller plus loin sans un examen détaillé de toute proposition au prétexte de favoriser la rapidité et l’efficacité de la prise de décision dans l’UE, ainsi que le soutiennent Monsieur Scholtz et la Commission de Bruxelles. Et dans tous les cas, toute réflexion commune sur ce point ne doit pas remettre en question le maintien du principe de l’unanimité au sein du Conseil européen.
11. Deuxième question, celle de l’élargissement. Nous ne pouvons pas accepter que la décision de faire entrer 10 pays supplémentaires soit prise à la va-vite, sous le fouet conjugué de la Commission de Bruxelles, qui rêve encore et toujours d’un empire commercial européen sous direction technocratique (la sienne), ni sous celui, malheureusement déplorable, des contraintes de solidarité crées par la guerre en Ukraine. Alors que l’histoire de ces 35 dernières années, les bouleversements mondiaux (comme la fin de l’URSS pour n’en citer qu’un seul) démontrent l’aveuglement de cette politique et ses conséquences dramatiques pour nos intérêts les plus fondamentaux.
12. L’élargissement à 10 pays pèsera très lourd sur les budgets nationaux comme sur le budget européen, il risque de provoquer à terme des explosions sociales incontrôlables, car les effets d’asymétrie de développement, de circulation des flux migratoires et de contradictions politiques seront destructeurs. La seule gestion actuelle d’une Europe à 27 montre que le principal résultat est l’approfondissement du déficit démocratique et l’incapacité des peuples à peser sur leur destin, au seul profit des forces transnationales économiques et de la technocratie de Bruxelles. Il serait en réalité plus judicieux de commencer à faire le bilan des élargissements qui ont eu lieu à partir de 1999, et d’en tirer les conséquences. La question n’est pas abstraite : l’Europe politique est-elle plus forte aujourd’hui qu’avant ces élargissements ? Et les États qui la composent ont-ils gagné en puissance ? Rien n’est moins évident. Il suffit de voir la chute de notre industrie et notre déficit commercial depuis trente ans pour ne citer que deux exemples.
13. Nous défendons la position, en accord avec celle du président Macron, de « donner du temps au temps », de développer surtout la bonne idée d’une Communauté politique européenne, comme première phase d’actions communes et de coopérations renforcées avec les pays hors UE.
14. L’incertitude liée au contexte de guerre dans lequel se trouve plongée l’Europe doit inciter à la prudence, non à la précipitation. De ce point de vue, l’Ukraine ne présente pour l’instant que très peu de critères pour pouvoir entrer dans l’UE. Nous sommes convaincus, au-delà de la solidarité avec ce pays envahi au mépris du droit international, que son avenir européen n’est pas séparé d’un accord sur la construction d’une architecture de sécurité européenne, qui préserve l’avenir et l’instauration de relations de bon voisinage, après la fin de la guerre, avec la Russie. Nous sommes contre l’invasion de l’Ukraine, nous sommes pour l’aide à ce pays, mais nous ne sommes pas en guerre contre la Russie et nous ne devons pas l’être. Nous souhaitons qu’une solution de paix soit trouvée qui préserve l’avenir. La France doit lutter pour faire prévaloir cette position.
Cet engagement résolu pour une reconquête de notre indépendance ne va pas de soi. Il connait de puissants adversaires, à gauche comme à droite, qui souhaitent peser sur les orientations de politique étrangère. Raison de plus pour rappeler les choix qui sont les nôtres depuis longtemps et auxquels Jean-Pierre Chevènement a donné son nom.
« Instruire », par Estelle Folest, Députée Refondation Républicaine du Val-d’Oise
Estelle Folest a consacré son intervention à nos priorités dans le domaine de l’École, du collège, du lycée, de la formation des maîtres. Elle a fait part de son action au Parlement dans ces domaines et s’est félicité du changement net d’orientation au ministère avec le départ de Pape N’Diaye et l’arrivée de Gabriel Attal. La situation critique de l’enseignement en France, révélée par les rapports Pisa, l’absence de formation à la citoyenneté et à la laïcité sont préoccupantes. Un riche débat avec les participants a permis de cerner les principaux outils de redressement de l’École républicaine. Cette convergence se traduira par un groupe de travail et de proposition consacré à l’École.
Résolution adoptée par le Congrès
La France républicaine est menacée. D’abord de l’intérieur, par la montée des individualismes, la fragmentation communautariste, l’affaiblissement de l’École, l’oubli des devoirs de la citoyenneté. La souveraineté populaire est enfermée dans le carcan des contraintes extérieures et des traités européens. Et, depuis des décennies, le désintérêt pour l’industrie et la production de manière générale, les erreurs grave en matière d’énergie, le déficit de nos échanges extérieurs privent notre modèle de protection sociale des ressources nécessaires et nos services publics des moyens indispensables. La voix de la France est affaiblie.
Pour redresser le pays, Refondation Républicaine affirme la cohérence d’un projet républicain.
Face à de véritables appels à la guerre civile, le respect ferme de nos lois et une politique migratoire réaliste vont de pair avec une action résolue d’intégration et de soutien à ceux qui aspirent à une assimilation complète à notre culture républicaine. La priorité aux savoirs fondamentaux à l’École, l’éducation à la laïcité, l’autorité des maîtres sont les meilleurs outils. L’instruction civique doit faire partie des épreuves du bac ; la généralisation du service national universel doit être préparée.
L’industrie, première source de richesses de notre pays, commence à se relever, et l’énergie nucléaire est enfin remise à sa place, bien que la vigilance soit de mise quant à la conclusion finale de l’accord de rachat de la branche nucléaire de GE par EDF… Une vraie politique industrielle appelle maintenant à une action par filières, par produits, capable de réduire les importations inutiles et donner un second souffle au frémissent productif. Le néo-libéralisme et le déni du rôle de l’État ont été cruels pour la France. Le retour du réel, la pandémie, la guerre en Europe, ont mis à bas les totems qui nous ont affaiblis depuis Maastricht, et rappellent que l’action publique est irremplaçable. Nous refusons le retour à des programmes d’austérité prônés à Bruxelles, qui nous ont dans le passé été si néfastes et qui empêchent de préparer l’avenir. Le programme de renouveau de l’énergie nucléaire doit être à la hauteur des besoins prévisibles du pays, de l’objectif de réindustrialisation et des engagements en matière climatique.
La France doit recouvrer une voix forte et indépendante dans le monde. Cela commence par l’Europe qui peut s’appuyer sur ses nations, « briques de base de la démocratie », au lieu de les affaiblir en ayant recours à des mécanismes de contournement technocratique. Un élargissement inconsidéré à 10 nouveaux pays à l’est de notre continent, dont l’Ukraine, changerait assurément la nature de l’Union européenne, et nous devrons nous opposer à cette fuite en avant porteuse de déséquilibres internes. De même la règle de l’unanimité au Conseil an matière de politique étrangère doit être préservée, faut de quoi l’indépendance de la France disparaîtrait, en même temps que son siège au Conseil de Sécurité. Le « grand saut fédéral » promu depuis les années 80 est tout simplement incapable de porter politiquement la construction européenne, car avant d’envisager la fédération il faut cerner l’idée fédératrice, l’intérêt général européen… Cela vaut aussi pour faire entendre, face aux bouleversements du monde et au retour des conflits, la voix de la raison : en Ukraine pour la construction d’une issue politique et au Proche-Orient pour la recherche d’une solution à deux États, car il n’y en a pas d’autre.
Refondation Républicaine a appelé à soutenir la candidature d’Emmanuel Macron en 2022, autour de l’exigence d’une souveraineté énergétique, industrielle, agricole, d’une planification retrouvées. Elle appelle aujourd’hui à faire preuve en tous domaines de la cohérence et de l’exigence républicaines dont le pays a besoin. C’est la seule manière de faire face tant à la démagogie de l’extrême droite qu’aux dérives de LFI, malheureusement endossées par ses alliés de la Nupes afin de sauver des sièges. La montée des périls exige de fixer un cap clair, ferme et ambitieux auquel peuvent se fier la majorité de nos concitoyens.
Il s’agit aujourd’hui de refaire nation en faisant front sur les capacités et les valeurs de notre peuple, en défendant ses droits contre toutes les atteintes à sa souveraineté, et en affirmant la force et la générosité du modèle républicain français.
Renouvellement du Bureau exécutif
En application de l’article 16 des statuts, ont été élus ou réélus :
- Président d’honneur : Jean-Pierre Chevènement
- Président : Jean-Yves Autexier
- Membres du Bureau exécutif : Aymeric Azema, Yannick Barthelemy, Marie-Françoise Bechtel, Françoise Bouvier, Marie-Annick Duhard, Jean-Paul Escande, Estelle Folest, Dominique Garabiol, Joachim Imad Le Floch, Bernard Larue, Hélène Leutier, Sami Naïr, Claude Nicolet, Jean-Paul Pagès, Baptiste Petitjean, Matteo Pottier-Bianchi