Déclaration du 15 mars 2024.
De 2020 à 2022, face à la crise qu’a traversée la France une orientation neuve s’est dessinée :
- mobilisation des énergies et des moyens, quoi qu’il en coûte
- abandon bienvenu des « critères de Maastricht », sur le déficit et la dette
- prise de conscience des dépendances inacceptables, reconquête des souverainetés énergétiques industrielles, agricoles
- retour à la volonté de planification
- discours républicain pour l’École, la laïcité, la lutte contre le wokisme et l’islamisme.
Ces orientations ont charpenté le discours d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2022. Elles nous ont déterminés à le soutenir. Ce choix s’imposait aussi, tant les propos de Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo ou Valérie Pécresse étaient inadaptés à la situation et aux enjeux. Aujourd’hui cependant, le cap de 2022 semble perdu de vue.
La reconquête de l’indépendance en tous domaines est incompatible avec l’adhésion des dix pays de l’Est européen à l’Union. Le soutien à une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN au moment même où les États-Unis souhaitent que nous les remplacions dans l’effort de soutien, accentuerait notre dépendance militaire et diplomatique. L’escalade verbale évoquant le déploiement de troupes européennes sur le sol ukrainien, l’envoi de missiles Scalp pouvant toucher le sol russe, suscitent des inquiétudes légitimes. Déployer des troupes au sol implique leur protection notamment aérienne et la mise en place d’infrastructures qui peuvent constituer autant de cibles dans un engrenage qu’on ne voit que trop bien. Et cet engrenage dans l’implication de la France, menant à un conflit entre deux puissances nucléaires, est à la merci d’une provocation. Or notre rôle est d’appeler à un cessez-le-feu ouvrant la voie à des négociations entre l’Ukraine et la Russie pour le respect du droit international. Contraindre nos voisins européens à sortir de l’ambiguïté stratégique et à annoncer qu’ils n’enverront pas de troupes en Ukraine isole la France et nous vaudra des rancœurs. L’hypothèse d’une victoire de Donald Trump, prévoyant de remettre en cause le traité de l’Atlantique Nord, ne peut pas être ignorée. Elle impose un effort de défense qui doit être en premier lieu national pour préparer une nouvelle architecture de sécurité en Europe prenant acte de l’épuisement du système multilatéral et des anciens systèmes d’alliances. Accepter l’extension de l’Union et de l’OTAN sans garantie est une faute grosse de déstabilisations en maints domaines (compétitivité, agriculture, défense, etc…). Elle nous enfermerait dans un entre-soi occidental, incapable de mener le dialogue avec le reste du monde. Ce serait contraire à la vocation de la France.
En Europe, prenant acte des accords à géométrie variable que sont appelés à passer les États membres, la France peut nouer des alliances décisives, comme ce fut le cas pour l’énergie nucléaire, et défendre ses projets. La fuite en avant dans une intégration toujours plus poussée relève d’un juridisme irréaliste et nuit à nos intérêts. La défense ne fait pas partie des compétences de l’Union, et la nomination d’un Commissaire européen à la Défense n’est pas conforme aux traités. Traiter de la défense de l’Europe suppose un dialogue approfondi entre les États qui disposent des moyens militaires, au premier rang desquels la France, puissance nucléaire, dont la force est nationale mais exerce sa dissuasion au-delà de ses frontières.
Faire entendre une voix indépendante dans le monde suppose de pouvoir s’affranchir du carcan atlantiste qui veut nous enrôler dans l’affrontement américain avec la Chine, ou qui refuse d’envisager un nouveau système de sécurité collective en Europe. Accepter que le vote à l’unanimité au Conseil européen, en matière de sécurité et de défense, soit mis en cause signerait l’effacement de l’indépendance de la France, et la mise en cause de son siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Nous ne pouvons accepter cet abandon, malheureusement envisagé par certaines voix autorisées.
La qualité de nos liens avec les pays du Sud, spécialement au Maghreb et en Afrique subsaharienne, est ainsi liée à l’indépendance de notre politique étrangère. Les déboires que nous subissons du nord au sud de ce continent appellent une reprise en main, et une clarification de nos rapports avec les pays africains sur la base d’une indépendance réciproque. Au Proche-Orient, la voix de la France, face à un conflit qui dure depuis plus d’un demi-siècle a besoin de fermeté et de stabilité ; il est bon d’oublier le projet d’une coalition internationale contre le Hamas et de revenir à la solution à deux États, qui était au cœur de notre diplomatie, de De Gaulle à Mitterrand. Trop de changements de cap et trop de silence devant le drame à Gaza, altèrent la confiance que nous avons su établir avec le monde arabe, pourtant en butte avec l’islamisme radical.
Une fois la crise de la pandémie passée, l’Union européenne veut retourner à ses anciens travers, et imposer le retour à l’austérité budgétaire. Mais ce carcan est incompatible avec les immenses besoins d’investissement dans un système de production décarbonée, dans la transition énergétique, dans la modernisation des services publics. Malgré la colère des paysans, la Commission entend poursuivre sa politique d’accords de libre-échange, le Mercosur étant à peine repoussé au lendemain de l’élection européenne, la frénésie règlementaire tout juste soumise à une courte parenthèse. Il faut dire clairement qu’une adhésion de l’Ukraine à l’Union aboutirait à bouleverser le marché agricole européen. De même, les conséquences sociales des restrictions budgétaires seront inévitables et regrettables.
La souveraineté économique passe d’abord par l’énergie. L’orientation donnée en 2022 à Belfort pour le renouveau de la filière nucléaire est bloquée par le prétexte américain de vouloir appliquer des sanctions sur les marchés d’EDF. Le retour des turbines Arabelle dans le giron français est en panne. La perspective de construire 14 réacteurs suppose des choix de financement et de coopération qui ne sont pas faits. La politique industrielle, aujourd’hui soutenue par une opportune politique de l’offre, a besoin d’être développée filière par filière, produit par produit, pour réduire un déficit commercial de près de 100 milliards d’euros. Ce déséquilibre menace en effet l’avenir même de notre système de protection sociale et de nos choix de société.
Relever la citoyenneté, c’est affirmer l’égalité des citoyens devant la loi. Envisager « une communauté culturelle » inscrite dans la Constitution et « une habilitation générale » donnée à la Corse pour y adapter les textes législatifs et réglementaires, c’est rompre avec le principe d’unité de la République. Déjà d’autres régions s’engouffrent dans cette faille. La France deviendrait une mosaïque de lois où chaque région adapte la loi. C’est la fin du principe de la loi égale pour tous. Une telle dérive trouverait devant elle les Républicains de tous horizons.
Le redressement de l’École est une œuvre de longue haleine, qui souffre de changements de cap inattendus et successifs. La priorité donnée à la transmission des savoirs, l’autorité des maîtres, leur reconnaissance et l’attractivité des métiers de l’enseignement, le respect de la laïcité doivent s’imposer dans la durée. Relever le citoyen, c’est aussi affirmer la primauté de la représentation nationale, du Parlement et de la loi en rejetant tout gouvernement des juges et en veillant au contrôle démocratique des compétences transférées à l’Union européenne. C’est particulièrement vrai en matière d’immigration et d’intégration où la jurisprudence européenne et nationale a pris le pas sur les choix politiques.
Pour relever la France, il faut certes du temps, il faut surtout un cap clair. Nous avions vu dans les propos de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, même si nous ne partagions pas tous ses choix, une orientation capable de répondre aux défis : reconquête de la souveraineté industrielle, agricole, énergétique, retour de la planification pour la transition écologique et la transition énergétique, indépendance de la France face aux bouleversements du monde … Nous demeurons fidèles à ce cap, qui incarne une réelle continuité avec les propositions du discours de Vincennes de Jean-Pierre Chevènement dès 2001. Nous continuerons donc à les défendre et à les soumettre au débat public.
La distance avec l’action gouvernementale concrète s’accroît à l’évidence. Nous soutiendrons donc tout ce qui est utile à l’avenir et nous ferons usage de notre liberté pour le reste.
Demain, la France et l’Europe auront toujours besoin d’une force républicaine cohérente ; rien n’est plus nécessaire à la France et à l’Europe que de contribuer à sa formation, à son affermissement, en approfondissant un débat public où l’invective ne saurait se substituer à l’argumentation.