Contribution du groupe de travail « Refondation industrielle », 16 juillet 2024.
Depuis le 7 juillet et le résultat du 2nd tour des élections législatives, deux questions se posent, deux questions qu’il est impératif de traiter dans un seul mouvement :
- « Qui pour gouverner ? », interrogation qui sature la bande passante,
- mais d’abord et surtout : « Gouverner pour quoi faire ? », car c’est bien à une crise politique, de contenu, et à un défaut de vision globale que nous avons affaire.
La campagne des élections législatives, trop courte et réduite à la construction tous azimuts de « barrages » et de « cordons sanitaires », n’a pas permis d’exposer clairement les directions possibles pour la France. Aucun bloc ni aucun assemblage ne dispose d’une majorité claire à l’Assemblée pour gouverner. Les combinaisons politiciennes ne peuvent pas – elles ne le pourront jamais – répondre aux préoccupations légitimes qui se sont exprimées à l’occasion des élections européennes puis législatives. Alors comment sortir de l’impasse ? Considérant l’état de la France et les multiples fractures qui la mutilent, qu’elles soient d’ordre territorial, économique, social ou générationnel, seule une refondation républicaine et démocratique peut emporter l’adhésion et la confiance des citoyens, générer de l’apaisement et paver la voie de l’unité populaire.
Afin que le sursaut moral du 7 juillet ne soit pas seulement un sursis qui verrait le RN progresser encore et pourquoi pas son candidat l’emporter à l’élection présidentielle de 2027, pour transformer l’affirmation de « valeurs » en offre politique positive et en programme de gouvernement répondant aux problèmes fondamentaux du pays, deux conditions semblent devoir être réunies.
La première, et la principale, consiste à opérer une inflexion politique majeure par rapport aux orientations suivies depuis près de 40 ans et qui n’ont eu pour autre conséquence politique que la montée, certes désastreuse mais tout à fait explicable, du FN devenu RN (10,65 millions de voix au 1er tour des élections législatives de 2024 en incluant ses alliés, contre 4,25 au 1er tour des législatives de 2022 et 2,99 au 1er tour des élections législatives de 2017).
Trois champs principaux peuvent être dégagés et pourraient constituer l’ossature d’un programme de salut public à composer dans un délai record :
- Le redressement planifié (sur 10 années) de l’économie et des finances publiques.
Afin d’enrayer l’engrenage du double déficit (déficit commercial, 100 mds€ en 2023, et déficit budgétaire, 5,5% du PIB en 2023), une politique néo-productiviste (industrie, agriculture, énergie, technologies), intensive en production décarbonée, en recherche et en innovation, doit être assumée, tout comme doit être inventé et promu un nouveau mode d’intervention de l’État dans l’économie. D’une part les dépenses dites « de fonctionnement » doivent être profondément revues et mieux définies afin de renouer avec l’efficacité et la proximité de l’action publique. D’autre part, face aux grandes transitions qui sont devant nous (climatique et écologique, démographique, numérique), les dépenses d’investissement pour l’avenir doivent être considérablement renforcées et regroupées dans un vaste plan d’aménagement du territoire, de modernisation de notre pays et de ses infrastructures (probablement plus de 100 mds€ supplémentaires par an). Une évaluation de long terme de la dépense publique à travers la sélection d’indicateurs adaptés permettrait de mettre en rapport des objectifs affichés et les moyens mis en œuvre pour les atteindre. Si les marges de manœuvre budgétaires sont restreintes (la dette française dépasse le 3 100 mds€ et les 110 % du PIB ; la charge de la dette a doublé par rapport à 2019 et dépasse désormais les 50 mds), la mobilisation de l’abondante épargne des Français (6 000 mds€) pourrait trouver sa manifestation dans le recours à l’emprunt national. Au plan européen, on pourrait imaginer une modification des statuts de la BCE qui élargirait son mandat, à ce jour cantonné à la lutte contre l’inflation, à la stimulation de la création de richesses. Une telle modification suppose une modification du TFUE et donc l’unanimité des États membres. On pourrait également envisager l’instauration d’une forme de protectionnisme européen, incorporant subventions et droits de douane, défendue récemment par Mario Draghi lui-même (discours du 14 juin au monastère de San Jeronimo de Yuste).
- La modernisation et le renforcement de notre modèle social et de nos services publics, essentiellement la Santé, l’École, la Citoyenneté et la Sécurité.
Cela devra prendre en compte les évolutions démographiques (vieillissement de la population, baisse de la natalité), les déséquilibres territoriaux (sentiment d’abandon, éloignement des services essentiels), la baisse du niveau des élèves, l’inadaptation de notre système de formation au marché du travail et la montée de la violence dans notre société. Pour assurer le financement du modèle social, la question des salaires et celle de la répartition équitable des richesses doivent être posées : une conférence du travail et des revenus doit être rapidement engagée.
- La reconquête de la souveraineté en tous domaines, de notre indépendance en Europe et dans le monde.
Une pause dans l’élargissement et l’approfondissement de l’UE permettrait de redessiner une Europe de projets resserrée autour des intérêts essentiels du continent. Rejetant toute forme de suivisme, l’Europe, et la France en son sein, doivent notamment œuvrer à la construction d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe au Moyen-Orient.
Ensuite vient un point d’ordre institutionnel. A l’heure de la tripartition du paysage politique, la pesanteur du mode de scrutin majoritaire, ou plutôt de la concentration des pouvoirs en majorité absolue qui l’a longtemps accompagné, sur notre culture politique nationale et dans la pratique des partis et des élus se fait sentir et n’est pas près de disparaitre. Toute tentative de compromis et d’accord de gouvernement sera détournée en compromission et renoncement par les formations qui en seront exclues. D’une part le RN, contrarié par l’issue des élections législatives anticipées mais réfugié dans le confort de l’opposition immaculée, ne manquera pas de fustiger les « arrangements électoraux » et « l’alliance du déshonneur », comme l’a rapidement exprimé J. Bardella. Le « front républicain », qui a tenu et a empêché le RN de remporter le 2nd tour des législatives, est en fait un couvercle qui vise seulement à l’empêcher d’accéder au pouvoir et aboutit, in fine, à effacer des électeurs dont la frustration et le sentiment d’être rejetés sortiront renforcés. Et la marmite continuera de bouillir. D’autre part La France Insoumise, toute à sa stratégie de clivage et de pureté idéologique en vue de l’élection présidentielle de 2027 (« rien que [le] programme [du NFP], mais tout son programme », selon la formule de J.-L. Mélenchon) accusera sans attendre ses partenaires du NFP d’avoir trahi leurs convictions s’ils viennent à nouer un pacte avec les « macronistes ». A peine créé sur les cendres de la Nupes, le NFP est déjà menacé d’implosion.
Il est donc crucial de trouver des pistes d’oxygénation de la démocratie et de reconstruction d’une conversation civique en mesure de trancher pacifiquement les différends. L’Assemblée nationale gagnerait à inscrire à son agenda deux dispositions pratiques, assez consensuelles, traduisant un changement réel de la méthode de délibération et de gouvernement.
L’introduction immédiate de la proportionnelle, demandée par l’ensemble ou presque des partis politiques – certes selon des modalités différentes (proportionnelle intégrale ou dose de proportionnelle) – permettrait de faire baisser le niveau de conflictualité de la vie politique française et d’évacuer une partie de la pression qui frappe les formations souhaitant s’engager dans la voie d’un accord. Cette mesure est relativement consensuelle dans la société (en 2017, 71 % des Français étaient favorables au scrutin proportionnel, enquête BVA/L’Obs). La désynchronisation des calendriers électoraux (élections législatives et élection présidentielle) pourrait également imposer une salutaire respiration démocratique à mi-mandat présidentiel.
En complément de ces mesures tenant à la démocratie représentative, on pourrait envisager des dispositions visant à renforcer la démocratie directe, en stimulant un usage plus régulier du référendum. Le RIC (référendum d’initiative citoyenne), avec un seuil situé autour de 2% du corps électoral (soit un peu moins d’un million de personnes) réparti par département sur le modèle du parrainage présidentiel, semble offrir une réponse pratique alors que le dernier référendum organisé en France (sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe) remonte à 2005 et fut contourné – faut-il le rappeler – par la ratification par voie parlementaire du traité de Lisbonne signé en 2007. L’immigration, le sens de la construction européenne – enjeux délaissés à tort par les partis dits de gouvernement et abandonnés à l’extrême droite – ou l’avenir de notre système de retraites pourrait fournir le thème d’une consultation populaire organisée dans les 12 prochains mois.
Seul un travail dépassant le spectacle des partis, bâti autour d’une vision commune et d’objectifs d’intérêt général rendrait acceptable un accord gouvernemental entre des personnalités de bonne volonté et venant de tous horizons.