« La vie de Refondation Républicaine dans les régions » : Projet de parc éolien en mer au large de Dunkerque : le pragmatisme doit l’emporter sur le dogme

Contribution de Claude Nicolet et Matteo Pottier Bianchi, pour le Comité Refondation républicaine Dunkerque-Littoral.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et durant les Trente glorieuses, la France a bâti son indépendance énergétique. En effet, après avoir créé Électricité de France (E.D.F.), composante du programme du Conseil National de la Résistance, sous l’impulsion du Président de Gaulle, la construction des premières centrales nucléaires est lancée dès les années 1950. Les chocs pétroliers des années 1970 ont poussé les présidents Georges Pompidou et Valérie Giscard d’Estaing à moderniser le parc nucléaire afin de lui donner son étendue actuelle. Avec 56 réacteurs en exploitation, la France devient indépendante en énergie et se place parmi les pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre au monde dans sa production électrique. La part du nucléaire s’est renforcée dans le mix énergétique français jusqu’en 2014 où elle atteignait 74 %. Dans l’intervalle, le littoral dunkerquois a vu l’ouverture de la centrale nucléaire de Gravelines en 1980, plus grande d’Europe de l’Ouest avec 6 réacteurs de 900 mégawatts, qui permet d’alimenter notre territoire : 70 % de la consommation annuelle des Hauts de France. De surcroît, le CNP de Gravelines alimente pour partie la Belgique et la Grande-Bretagne – environ trois millions de foyers britanniques. « La Géante » contribue annuellement à la fiscalité locale pour soixante millions d’euros et 3000 emplois.

Or, cet atout territorial, national et international que constitue le nucléaire français est aujourd’hui remis en question. Entre 2014 et 2022, la part du nucléaire dans la production électrique française a décru de dix points [1] , notamment suite aux décisions des présidents François Hollande [2] et Emmanuel Macron [3] et la mise en place du projet européen Hercule [4], piloté par Berlin et sa feuille de route anti-nucléaire, qui projetait le démantèlement d’E.D.F. et la fin du nucléaire français avec la complicité des idéologues écologistes qui, en France, faisaient leur un tel dessein. Dans le cadre du marché européen de l’électricité, particulièrement défavorable à la production énergétique française [5], et de l’électrification des usages [6], cette dynamique eut pour effet d’augmenter continuellement le prix de l’électricité en France [7] et a mis le pays en grave difficulté lors de la crise mondiale de l’énergie démarrée en 2021. C’est, par ailleurs, la question de notre souveraineté énergétique qui est posée avec ce type de production énergétique. En effet, beaucoup des métaux rares nécessaires à la fabrication des éoliennes nous mettent dans un état de dépendance vis-à-vis de puissances étrangères. Or, nous savons à quel point l’électricité doit être considérée comme un bien stratégique de première importance.

Il fallut une prise de conscience récente de l’opinion publique à l’échelle nationale pour corriger cette trajectoire hasardeuse et contraindre l’exécutif à réinvestir dans le nucléaire pour recouvrir l’indépendance énergétique de la France. Pourtant, un projet d’une inspiration politique obsolète surgit sur le front de mer Dunkerquois. Face à la cité balnéaire de Malo-les-Bains, un parc de quarante-six éoliennes de 300 mètres de haut pourrait voir le jour.

  • Ce projet est un non-sens stratégique et industriel qui relève de l’idéologie plus que du pragmatisme

1. Dunkerque, avec la Centrale Nucléaire de Gravelines, bénéficie d’un pôle énergétique performant qui motive l’implantation annoncée de nouvelles usines sur notre littoral. Ces dernières ont un accès facilité à une ressource électrique propre et compétitive qui se passe bien du secours d’une énergie éolienne impropre et couteuse. À l’échelle nationale, les 9000 éoliennes de France, qui produisent moins de 10 % de l’électricité nationale, ont coûté 120 milliards d’euros, soit autant que le coût historique de tout le parc nucléaire français. À l’échelle locale, le projet de parc éolien, annoncé au montant d’1,4 milliards d’euros pour une première décennie de fonctionnement, créera une cinquantaine d’emplois locaux d’après les meilleurs scénarios. Augmentation des impôts et des factures seront à la clé pour pouvoir absorber ces dépenses.

2. Ce parc aurait la capacité d’alimenter 1 million de foyers par an avec ses 600 mégawattheures de puissance installée. Or, la puissance installée correspond à la production atteinte si les éoliennes fonctionnent sans discontinuer. Ce qui n’arrivera pas, car les éoliennes ne produisent que par vent. En considérant, de manière parfaitement utopique, que l’ensemble tournerait à 50 % de ses capacités, nous tomberions donc à 300 MW, de quoi alimenter, dans le meilleur des cas, 380 000 foyers, et non 1 million.

3. Quelle cohérence à vouloir développer le front de mer par le commerce et le tourisme et, en même temps, saborder son meilleur atout ? Le « tourisme de l’éolien » qui a parfois été avancé pour justifier cette manœuvre ne trompe personne.

  • Ce projet est un non-sens écologique qui portera une atteinte grave à l’environnement local et ce de manière très large

4. 600 mégawattheures de puissance installée n’équivalent pas à une production assurée, le vent étant aléatoire. Il faut donc prévoir un couplage, appelé « back-up«  pour pallier l’absence de production des éoliennes. Deux possibilités. La première, privilégiée dans l’optique de la diminution du nucléaire, est de coupler les éoliennes de centrales à gaz ou au charbon, émettrices de CO2. La seconde, schizophrénique, est de coupler l’éolien avec l’énergie nucléaire. Ce qui revient à conserver les centrales existantes, mais dont la production, donc le rendement, sera diminuée. Parallèlement, les coûts d’entretien vont augmenter, ainsi que le risque d’incident – ceux-là même qu’on prétend éviter en développant l’éolien.

5. Quid d’un éventuel démantèlement si le projet aboutissait : quels financements ? quelles conséquences sur l’environnement et qui en seraient les financeurs ?

6. À Dunkerque, le front de mer, patrimoine environnemental, sera détruit. Pour les habitants, qui verront l’horizon coupé par 46 éoliennes hautes comme la Tour Eiffel qui ne passeront évidemment pas inaperçues – mais aussi pour la faune et la flore, car cette implantation est prévue en pleine Zone Natura 2000.

7. Non content de perturber l’espace maritime, ce projet va consommer des terres agricoles. En effet, le projet prévoit que pour compenser la dégradation de l’environnement maritime qu’il reconnait, plus de 7 hectares de terres agricoles vont devoir être soustraits à leur mission pour être rendus à la nature.

8. Aux études environnementales à charge contre ce projet s’ajoute une variable inconnue et non maîtrisée que nous ne devons pas négliger. Nous savons notre façade maritime à portée d’une catastrophe écologique en raison de la présence des bombes de gaz moutarde (notamment) immergées à la fin de la Première Guerre mondiale. De même que nous n’avons pas de regard sur les conséquences du chantier sur leur existence (les travaux vont-ils accélérer la dispersion de ces gaz ?), nous n’avons pas les moyens d’évaluer les conséquences indirectes de la présence des éoliennes sur l’environnement, par exemple par la dispersion de débris.

9. Les citoyens ont par ailleurs droit à bénéficier d’un espace naturel préservé des implantations technologiques et industrielles, d’un « droit au beau ». La façade maritime est prisée comme site naturel parmi les rares du littoral. L’altération de l’environnement naturel par ces mats entrainera une diminution de la valeur économique dont il dépend, aussi bien sur l’immobilier que sur le tourisme. Le plus bel atout naturel de la communauté urbaine serait ainsi gâché.

  • Ce projet est un non-sens culturel et diplomatique oublieux de l’histoire

10. Les 46 éoliennes ne sont pas sans avoir des conséquences visuelles et environnementales – notamment par le déplacement des bancs de sable – sur le littoral belge. Belgique qui n’a pas été associée, ni même informée du projet avant son rendu public.

11. L’espace choisi est le lieu de l’opération Dynamo, où tant de combattants sont morts pour notre liberté et reposent encore. Le saccage de ce lieu de mémoire alerte aussi bien les associations mémorielles britanniques que françaises.

  • Ce projet est un non-sens démocratique qui altère gravement la confiance envers les élus

12. Par un courrier en date du 31 juillet 2023, le Préfet du Nord demandait au maire de Dunkerque de consulter son Conseil municipal sur le sujet. La consultation n’ayant pas eu lieu, l’accord du Conseil fut acquis tacitement. Un grave déni de démocratie.

13. Quatre conseils municipaux ont été consultés : Leffrinckoucke, Ghyvelde-Les Moëres, Bray Dunes et Zuydcoote. Seul Leffrinckoucke a approuvé le projet par un vote à main levée.

14. Les contrevérités assénées durant la phase projet ont gravement entaché la confiance des citoyens dans l’action publique. Il en est ainsi, par exemple, de l’assurance de préservation du paysage. Les éoliennes étaient prétendument trop lointaines pour être vues. Un argument infirmé depuis.

15. Le débat public mené en 2020-2021 prenait place dans un contexte de crise sanitaire qui rendait sa tenue difficile. Il ne consistait pas en un débat mais en un exposé qui ne laissait pas la place au contradictoire.

16. La démocratie locale devrait permettre de sortir par le haut d’une situation d’évident blocage par le recours au référendum, légitimé par l’importance du projet.

La présente enquête publique s’organise dans des conditions aussi approximatives et décevantes que le débat public de 2020, en pleine crise COVID. À son terme, nous félicitons néanmoins la forte mobilisation des citoyens : les avis, très majoritairement défavorables, furent certains jours par centaines.

Ce projet ancien prenait sa source dans une dynamique nationale de réduction du nucléaire en France, qui avait ramené en 2023 la production d’électricité par le nucléaire à son niveau de 1985 ! Or, le nucléaire est l’outil autant de l’indépendance du pays que la garantie d’une faible empreinte sur l’environnement dans la production d’électricité : la construction de réacteurs pour limiter l’élévation de la température et préserver l’environnement est une recommandation majeure des climatologues. Il nous faut aujourd’hui réparer les erreurs commises et préserver les Français.

Le pragmatisme semble avoir, au moins pour partie, touché le gouvernement : l’abandon du projet Hercule et le réinvestissement massif dans le nucléaire en font foi. Il faut aller plus loin en abandonnant, à l’échelle locale, des projets qui ne sont plus justifiés. Nous proposons que les sommes prévues pour le projet éolien soient consacrées à la modernisation du parc nucléaire existant. Ainsi le pragmatisme devrait l’emporter sur le dogme.

[1] Part du nucléaire dans le mix énergétique français : 1980 – 23,8 % ; 2000 – 77 % ; 2012 – 76 % ; 2020 – 67,1 % ; 1990 – 75 % ; 2010 – 75,9 % ; 2014 – 77 % ; 2022 – 62,7 %.

[2] François Hollande avait inscrit dans son programme présidentiel l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix énergétique français.

[3] La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim a été actée en février 2020 dans la droite ligne de la Loi transition écologique de 2015.

[4] Ce plan, présenté en 2019, prévoyait le morcelage d’E.D.F. en trois entités pour pallier un endettement dû, en grande partie, aux règles de la concurrence européenne qui impose à E.D.F. de vendre à bas coût une part de son électricité aux revendeurs concurrents.

[5] La négociation des tarifs de l’électricité au niveau européen entraine la hausse des prix français, l’électricité bleu-blanc-rouge étant la moins chère du fait de son origine nucléaire.

[6] La demande en électricité va augmenter de 40 % d’ici 2050.

[7] Entre 2007 et 2024, le prix de l’électricité a augmenté d’environ 150 %.