Tribune de Jean-Pierre Chevènement pour le Figaro Vox, publiée le vendredi 11 mars 2022.
Tribune dans le Figaro Vox : « Les raisons de mon soutien à Emmanuel Macron »
Sur le site Atlantico, mon vieil ami Benoît Rayski qui me suit à la trace depuis très longtemps écrit : «Qu’est-ce qui a pris à ce souverainiste de se jeter dans les bras d’un européiste ? Par quelle aberration un homme de son courage et de son envergure a-t-il pu rejoindre un petit marquis d’opérette ?» Je veux rassurer ceux de mes amis véritables chez qui ce propos aurait, me dit-on, rencontré quelque écho.
D’abord, je me suis toujours dissocié de la vision dévalorisante d’Emmanuel Macron véhiculée par le ressentiment conjugué de la gauche et de la droite, après leur double éviction du pouvoir en 2017. Emmanuel Macron a été élu au suffrage universel à 66 % des voix exprimées au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017. Il est donc notre président légitime. Par ailleurs, j’ai beaucoup de considération pour l’étendue et la variété de sa culture, sa vivacité d’esprit, sa remarquable capacité d’apprendre, quitte à se corriger lui-même. Emmanuel Macron a dû faire face à des crises majeures (les «gilets jaunes», le Covid-19, la guerre russo-ukrainienne) dont aucune ne lui était directement imputable. Il s’est montré tout à fait à la hauteur. Sur le plan sécuritaire comme au plan économique, il a su limiter les dégâts de la pandémie. S’agissant de la crise ukrainienne il a montré une fermeté sans faille pour condamner l’agression russe, tout en maintenant ouvertes les voies de la diplomatie. Par son attitude responsable, il a su éviter le glissement de l’Europe dans la cobelligérance qui aurait pu et pourrait dégénérer en une Troisième Guerre mondiale, potentiellement nucléaire. J’ai donc beaucoup de respect pour le Président de la République et si je lui ai apporté un soutien républicain le 27 février 2022[1], c’est parce que cela correspondait au meilleur intérêt de la France. Ce critère seul a guidé mon choix.
Contrairement à ce que dit Benoît Rayski, je ne me suis pas «rallié à un mondialiste». J’apprécie, au contraire la remarquable évolution qui a conduit Emmanuel Macron à suspendre les critères de Maastricht de concert avec nos partenaires européens (encore a-t-il fallu les convaincre !) et à amplifier la politique monétaire «accommodante» mise en œuvre par Mario Draghi et continuée par Christine Lagarde à la tête de la BCE. La BCE a acheté 4800 milliards de titres publics, assurant ainsi la survie du système de l’euro et préservant la croissance européenne face à la pandémie. Les États étaient le problème. Ils sont devenus la solution. À l’obsession de la rentabilité à court terme, s’est substitué un début de planification de la nécessaire transition énergétique, climatique et numérique.
Emmanuel Macron a enfin obtenu d’Angela Merkel une certaine mutualisation (390 milliards d’euros) du financement du plan de transition dit «Green Deal».
Où et en quoi ai-je abandonné les convictions qui ont toujours été les miennes ? Évidemment, en cinquante ans, beaucoup de choses ont changé mais nous avons ensemble maintenu le cap de la République française indépendante et solidaire face à des adversaires ô combien coriaces. Nous avons défendu et promu les grandes valeurs républicaines de liberté, de laïcité, d’égalité et de fraternité.
Tout au long de mon engagement politique, j’ai soutenu, avec le CERES puis le MDC et le «pôle républicain», les choix qui me paraissaient indispensables aux intérêts de la France. Dès les années soixante-dix j’ai pensé que le renouveau de la République, alors figée dans les marais du giscardisme, – même si plusieurs décisions judicieuses furent à mettre à l’actif de Valéry Giscard D’Estaing -, appelait du sang neuf, ce qui exigeait de mettre la gauche à hauteur des responsabilités de l’État. C’était le sens de l’action du CERES, au sein du Parti socialiste et du programme de gouvernement commun à toute la gauche, qui rendirent possible la refondation du Parti socialiste et l’élection de François Mitterrand dix ans plus tard.
Pour être à la hauteur, la gauche devait se réapproprier la nation, et assurer les noces entre celle-ci et le mouvement populaire. Voilà pourquoi, à une époque où la compétition mondiale s’exacerbait et où le chômage s’emballait, j’ai mis l’accent sur la nécessité de soutenir l’industrie et donc l’emploi – le premier colloque du CERES en 1968 portait déjà sur «la politique industrielle» -, de promouvoir l’indépendance énergétique, qui passe par l’électricité nucléaire, et sur le volontarisme politique. On ne doit pas oublier que les grandes entreprises nationalisées en 1982 ont été remises à flot par l’intervention de l’État. On l’oublie, parce que la gauche s’en est détournée par la suite, le projet sur lequel elle a été élue en 1981 était un projet industrialiste. Quand j’ai constaté que le gouvernement auquel j’appartenais s’éloignait de la priorité donnée à l’industrie dans le projet que le peuple lui avait confié, j’ai décidé de le quitter en mars 1983. On ne doit donc pas être surpris du soutien que j’apporte aujourd’hui aux décisions du président Macron visant à réindustrialiser la France, ou à lancer un programme nucléaire civil ambitieux. Ces décisions sont plus heureuses que l’abandon regrettable par des gouvernements socialistes d’un programme comme le projet Superphénix visant à produire une énergie nucléaire sans déchet, ou la réduction votée en 2015 par voie législative du format de notre parc électronucléaire.
Pour que les couches populaires prennent toute leur place dans la vie de la nation, il fallait que soient combattus la désindustrialisation et le cancer du chômage. Ce dernier fut durant de longues années le sujet majeur de préoccupation des Français. Il occupe à présent la 5ème place dans les études d’opinion. Si le taux de chômage est un indicateur social fondamental, son niveau – 7,4 % au 4e trimestre 2021, le plus bas depuis 2008 – nous permet de retrouver la confiance des Français dans l’avenir. Et pour que cet objectif de l’emploi demeure au cœur de l’action publique, il faut compter d’abord sur la reconquête industrielle et les nouvelles technologies.
J’ai toujours souligné que l’idée républicaine était en France au cœur de la démocratie. Si j’ai dû démissionner du gouvernement en 2001, c’est parce qu’il envisageait de transférer une partie du pouvoir législatif à une Assemblée de Corse, sous la pression des indépendantistes. L’idée républicaine et la laïcité sont la cible des milieux séparatistes, comme des courants de la « déconstruction républicaine » : une partie de la gauche y avait beaucoup cédé, depuis l’affaire de Creil jusqu’à certaines complaisances avec les mouvements islamistes, ou encore ce qu’on appelle le «wokisme». Le salutaire rappel des principes laïques, à l’École d’abord, a été bienvenu. Le dédoublement des petites classes, le renforcement des mathématiques dans l’enseignement secondaire, la revalorisation de l’enseignement professionnel au contact des entreprises vont dans le bon sens. Il faut l’amplifier. Retrouver le sens de l’État, après des décennies d’exaltation du néo-libéralisme et de l’individualisme, c’est être fidèle au modèle républicain français.
Qui ne voit qu’une politique républicaine, à la fois humaine et ferme, en matière de sécurité, de régulation de l’émigration et d’intégration à la communauté nationale ont besoin, comme le Président Macron l’a souligné, d’une nouvelle impulsion ?
L’intégration d’un islam à la française m’a toujours semblé une nécessité. J’y avais œuvré en lançant, dès 1999, la Consultation (Istichara) pour l’organisation d’un Islam de France reconnaissant pleinement les principes de la République. À la demande de Bernard Cazeneuve, j’ai ensuite, de 2016 à 2018, présidé la Fondation pour l’Islam de France, et Ghaleb Bencheikh m’y a succédé avec talent. C’est dire que cet enjeu m’a toujours paru décisif. J’ai retrouvé dans le discours du président Macron, aux Mureaux, le contenu d’une politique intelligente, à la hauteur des enjeux, tenant compte des nouvelles réalités, capable de réussir là où tant de tentatives ont échoué. Lutter contre l’islamisme radical, libérer l’islam de France des influences étrangères, aider à l’émergence d’un islam des Lumières : est-il besoin de souligner la continuité de vues en ce domaine entre mes suggestions et l’action du Président Macron ?
En matière de politique extérieure, le souci de son indépendance doit guider la politique de la France. Cette exigence est peut-être encore plus difficile à atteindre aujourd’hui qu’hier car il faut résister aux initiatives irresponsables et tenir bon sur les principes de souveraineté nationale qui fondent l’ordre international. Mais ce n’est pas le président Macron qui a décidé de réintégrer le commandement intégré de l’Otan. Affronter la crise née de la guerre en Ukraine, en faisant face avec fermeté aux violations par la Russie du droit international, tout en laissant ouverte une possibilité de négociation prenant en compte les exigences de sécurité légitimes de la Russie, tout cela exigeait lucidité et équilibre. Bien sûr, il aurait fallu, après la chute de l’Union soviétique, négocier un équilibre et une architecture de sécurité en Europe. Cela n’a pas été fait et on ne réécrira pas l’histoire. Entre les jusqu’au-boutistes et les résignés, sa France a tenu le rôle qu’elle seule peut tenir et parce que son rôle dans l’Histoire, la force de dissuasion et son siège permanent au Conseil de sécurité lui donnent ce statut, que, étrangement, certains candidats veulent mettre en cause.
Il serait naturel de m’objecter que depuis longtemps, mes vues sur la construction européenne ne sont pas celles des européistes qui veulent substituer l’Europe à la France. Et le programme de la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne, appelant à une construction «fédérale» a de quoi inquiéter le républicain que je suis. La construction de l’Europe est utile et même nécessaire dans un monde que domine de plus en plus la rivalité des États-Unis et de la Chine. À cet égard, je suis résolument européen. Mais elle ne peut prendre appui que sur la force des nations qui la composent. Car les nations au sein de l’Europe continuent de vivre et c’est une excellente chose pour la démocratie et pour l’Europe elle-même. «Une France libre dans une Europe indépendante» était le thème que j’avais choisi pour la liste que je conduisais en 1994 pour les élections européennes ! En effet, comme l’a indiqué le 2 mars le président Macron, nous ne pouvons plus continuer à dépendre des autres, en soulignant : «Notre pays amplifiera l’investissement dans sa défense décidé dès 2017 et poursuivra sa stratégie d’indépendance et d’investissement dans son économie, sa recherche, son innovation». Je ne peux que souscrire à cette ambition que je n’ai cessé de porter durant toute ma vie politique.
Le bouleversement intervenu en 2017, écartant les deux grands partis qui alternaient au pouvoir sans offrir une alternance véritable, a ouvert une nouvelle phase de la Ve République : au système de «l’essuie-glace» où chacun attend sa victoire de l’échec de l’autre, peut désormais succéder à une recomposition bien nécessaire de notre vie politique française. Elle opposera dans un premier temps un pôle républicain large et renouvelé à un bloc où, par la force des choses, les extrêmes droites se rapprocheront pour former un ensemble très marqué par l’obsession identitaire. Mais il ne faut pas laisser les couches populaires sous l’emprise de cette idéologie mortifère. Un nouveau paysage émergera de nos luttes pour que la France puisse reconquérir son indépendance industrielle, technologique et bien sûr politique.
La Ve République vit un tournant majeur. 2017 a vu un système de représentation usé jusqu’à la corde entrer en turbulence. À Emmanuel Macron a alors incombé une tâche immense: recomposer la vie politique française. Prenons toute notre part à cette refondation républicaine en soutenant fermement dès le premier tour le président Macron, désormais notre candidat, celui de la citoyenneté militante et agissante !