Par Joachim Imad, membre du Bureau de Refondation républicaine
La nationalisation d’EDF, annoncée ce mercredi par Élisabeth Borne, est une heureuse nouvelle. Heureuse nouvelle, tout d’abord, pour l’électricien français, endetté à hauteur de 96 milliards d’euros et menacé d’une possible dégradation de sa note par les agences de notation. EDF avait particulièrement souffert du manque d’investissements et des politiques incessantes de stop-and-go des dernières décennies, voyant son capital humain s’altérer et ses infrastructures souffrir. La moitié de ses 56 réacteurs nucléaires ont ainsi été mis à l’arrêt, au point d’obliger le gouvernement à rouvrir une deuxième centrale à charbon à Saint-Avold, en Moselle.
Grâce au rachat par l’État de 16% de ses parts en bourses, EDF va enfin pouvoir envisager l’avenir avec davantage de sérénité. Surtout, il va pouvoir mener à bien, et dans les meilleurs délais, le chantier de la construction des 6 à 14 EPR annoncés par Emmanuel Macron, projet le plus ambitieux du monde occidental en matière d’investissement nucléaire. Ce chantier s’inscrit dans un contexte enfin favorable à la filière, marqué notamment par le rachat des turbines Arabelle auprès du General Electric et notre récente victoire au Parlement européen face à l’Allemagne et à ses alliés, avec l’intégration du nucléaire dans le projet de taxonomie.
Ces investissements et décisions stratégiques étaient autant de conditions essentielles à la préservation de notre souveraineté et à la construction de notre indépendance énergétique qui, pour reprendre la formule du ministre de l’Économie, «n’a pas de prix». Sur ce sujet, comme sur d’autres, Emmanuel Macron a su faire preuve de pragmatisme pour évoluer et proposer une politique de planification à la hauteur des défis du long terme. Rappelons que la France devra, selon RTE, produire jusqu’à 58% d’électricité en plus d’ici 2050 et que cette électrification des usages est une condition nécessaire aussi bien à la décarbonation de nos activités qu’à la réindustrialisation du pays. La crise du coronavirus et, surtout, la guerre en Ukraine, de par les dépendances graves qu’elles ont mises en lumière et les conséquences matérielles lourdes sur lesquelles elles ont débouché, y sont sans doute pour beaucoup.
Du point de vue du pouvoir d’achat, la nationalisation d’EDF va permettre de contenir le prix de l’énergie pour les ménages via, notamment, le bouclier tarifaire.
On ne rappellera par ailleurs jamais assez que le nucléaire est une énergie pilotable et à bas coût, permettant à la France de profiter d’une électricité bien moins chère que chez ses voisins européens. Il s’agit également d’une énergie décarbonée qui, quoi qu’en disent ceux qui instrumentalisent l’inculture scientifique ambiante, a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Le GIEC l’avait d’ailleurs reconnu dans son rapport d’octobre 2018.
La nationalisation d’EDF est enfin une heureuse nouvelle en ce qu’elle manifeste le changement de cycle à l’œuvre.
Pendant quarante ans, notre classe dirigeante s’était retournée contre notre imaginaire national, celui d’un pays dont l’histoire, l’unité et la grandeur passaient par l’autorité de l’État et par le refus de voir celui-ci soumis à des féodalités quelconques. Pendant quarante ans, avaient prévalu le laisser-faire et la seule logique comptable. La souveraineté était devenue suspecte et, selon la formule d’un ancien Premier ministre soi-disant socialiste, l’État «ne pouvait pas tout». Il était donc naturel de priver celui-ci de ses leviers et moyens d’action, méthode fort commode pour, une fois l’impuissance de l’État organisée, justifier les pires renoncements, liquidations et autres ventes à la découpe.
Il semblerait que ce paradigme n’ait pas résisté à l’épreuve des crises et que l’interventionnisme retrouve enfin ses lettres de noblesse. Sans parler de revenir au Plan tel qu’il fonctionnait après 1945 – ce qui ne serait ni possible ni souhaitable, reconnaissons que la relégitimation de l’État dans sa capacité à anticiper les besoins du pays et à y répondre dans les secteurs névralgiques s’impose.
L’heure n’est plus à la courte vue budgétaire et à la foi aveugle dans le marché, mais bien à la prise en compte du temps long.
La politique, depuis trop longtemps réduite à la seule adaptation à la marche du monde, exprime à nouveau une volonté dans l’histoire. Nous renouons peut-être par là avec le refus de la fatalité et la tradition républicaine héritée de la Révolution. «C’est l’imagination timorée des hommes qui pose à chaque pas les bornes du possible et de l’impossible» disait Robespierre.
La vigilance sur la suite des évènements demeure néanmoins de mise. Ce changement de paradigme au sommet de l’État doit être durable et, s’agissant d’EDF, la nationalisation ne saurait demeurer un acte isolé. Elle ne serait pas suffisante sans réflexion sur les problèmes structurels d’EDF, notamment les règles européennes de la concurrence avec la loi Nome et l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique).
Ce dernier dispositif, qui oblige EDF à vendre à bas coût une partie notable de son électricité à ses concurrents, a en effet largement contribué à l’endettement de l’électricien français, au profit de fournisseurs privés qui nous revendent ensuite l’électricité produite. En outre, du fait du marché de l’électricité, le prix de celle-ci se forme à l’échelle européenne, selon le coût marginal de la dernière centrale, souvent une centrale à gaz, appelée pour satisfaire la demande. Le coût de l’électricité est donc largement indexé sur celui du gaz, plus rare et plus coûteux, ce qui est absurde.
Des pistes de solution existent néanmoins. Après d’âpres discussions avec Bruxelles, l’Espagne et le Portugal ont récemment mis en place un système tarifaire propre permettant le plafonnement des prix du gaz et donc de l’électricité. Si Bruno Le Maire a eu raison de dénoncer l’obsolescence et l’échec du marché européen de l’électricité, il nous faut profiter des circonstances exceptionnellement graves pour cesser l’application à la lettre des directives et règlements qui imposent une libéralisation. Dès que les conditions d’un rapport de force européen suffisamment affirmé seront réunies, il serait par exemple possible de s’appuyer sur la directive européenne du 19 décembre 1996 pour demander de déconnecter le prix de l’électricité en France du prix du marché européen.
Au-delà de la nationalisation salutaire d’EDF, c’est donc bien à tous ces problèmes de fond qu’il va falloir s’attaquer, plutôt que de faire de la décision du gouvernement un prélude à un, espérons-le hypothétique, démantèlement du groupe. La France a su faire entendre une voix courageuse et construire des alliances avec ses partenaires sur la taxonomie. Pour rattraper le temps perdu et refonder un véritable service public de l’énergie, le même volontarisme est aujourd’hui nécessaire face à des injonctions bruxelloises d’un autre temps. Au regard des périls géopolitiques et environnementaux qui nous guettent et de la fracture sociale qui s’exacerbe, la France a plus que jamais besoin d’un cap clair et conduit avec fermeté.
Source : FigaroVox