Tribune de Refondation républicaine
Le gaz représente environ 15% de la consommation française d’énergie primaire et un peu plus du tiers de la consommation d’énergie finale par l’industrie.
Le gaz est en effet pour l’industrie une source d’énergie et une matière première, notamment pour la chimie, l’agro-alimentaire, la sidérurgie, le verre, et le papier carton. Or le prix du gaz, du fait de l’augmentation de la demande mondiale et du fait de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, est à un niveau qui impacte fortement tous les consommateurs en France comme dans l’Union européenne : par rapport au point le plus bas de cette année, en mai, le prix du gaz est aujourd’hui 75% plus élevé, et il a augmenté de 55% sur un an. Dans ces conditions, on imagine les graves conséquences du maintien d’un prix élevé et volatil sur l’industrie.
Et il faut également tenir compte du fait que l’électricité représente près de 40% de la consommation d’énergie dans l’industrie en France, en sachant que, du fait de l’organisation du marché européen de l’électricité, le prix du MWh électrique est directement lié au prix du gaz, et que la France en achète depuis quelques temps de grandes quantités sur le marché européen du fait de la situation du parc nucléaire. De plus, la France utilise du gaz pour la production d’électricité, essentiellement dans des centrales à cycle combiné, plus efficaces d’un point de vue énergétique que les centrales thermiques traditionnelles. Une dizaine de centrales à cycle combiné fonctionnent en France, produisant selon les années entre et 5 et 8% de l’électricité. Cette proportion peut être beaucoup plus élevée dans les autres États membres ; en effet, ce sont les centrales à gaz qui viennent remplacer la production des renouvelables intermittentes en cas d’absence de vent ou d’ensoleillement ; le marché de l’électricité étant un marché fondé sur la concurrence à court terme entre les producteurs d’électricité, le coût du MWh électrique sur le marché est fonction du prix du gaz, bas quand les éoliennes et les panneaux photovoltaïques produisent, c’est-à-dire moins du quart de l’année, élevé quand ce sont les centrales à gaz qui prennent le relais en utilisant un combustible très cher.
Dans ce contexte, plusieurs États membres de l’Union européenne ont commencé à récuser la vision de la concurrence à court terme de la Commission et obtenu l’accord de Bruxelles pour la mise en place du « mécanisme ibérique ».
Selon ce mécanisme, qui est une dérogation à l’organisation du marché européen de l’électricité, l’Espagne et le Portugal ont été autorisés à plafonner le prix du gaz utilisé pour la production d’électricité à 40 € le MWh gaz jusqu’au 15 décembre, avec pour effet un plafonnement du prix de l’électricité de l’ordre de 130 € par MWh, soit une baisse d’environ 30% par rapport aux premiers mois de 2022. Ensuite, le prix du gaz augmentera progressivement pour atteindre 70 € le MWh à la fin du mois de mai 2023.
La France a proposé d’étendre ce mécanisme à l’ensemble des États membres et s’efforce de convaincre la Commission comme ses partenaires européens. Elle a le soutien de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie, de la Roumanie, de la Suède, de la Belgique, de la Hongrie, de la République tchèque et des États baltes, … ; ainsi, Monsieur De Croo, Premier ministre belge, a fortement insisté sur le risque de désindustrialisation massive de l’Europe avec des conséquence majeures et durables si les prix de l’énergie ne baissaient pas à l’approche de l’hiver. Et la Pologne s’inquiète des conséquences possibles de l’attitude allemande qui, selon elle, joue seule, défendant le fonctionnement du marché, s’opposant au mécanisme ibérique, tout en décidant de subventionner son économie à hauteur de 200 milliards d’euros.
En effet, l’Allemagne pose problème à ses partenaires par cette subvention massive : le soutien de 200 milliards à son économie est tout bénéfice pour limiter les coûts de production et ainsi soutenir la demande à son industrie, sachant par ailleurs qu’une partie du patronat allemand commence à envisager des délocalisations non plus vers des pays à bas coût de main d’œuvre mais vers des pays disposant de ressources naturelles en abondance et d’un faible prix de l’énergie ; d’autre part, ses partenaires continueraient à payer l’énergie au prix fort au détriment de la compétitivité de leur industrie. A tel point que même les Pays-Bas s’interrogent et semblent assouplir leur position fondée traditionnellement sur le strict respect de la concurrence.
Le raisonnement de la France est solide et a été clairement entendu par les ministres chargés de l’énergie réunis à Prague :
- il s’agit de plafonner le prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité en tenant compte des spécificités de chaque État membre ;
- il s’agit de tirer parti de la volonté européenne de développer les achats en commun, en bénéficiant ainsi du volume des achats pour la négociation avec les fournisseurs de gaz qui resteront payés au prix du marché mais avec une plus grande visibilité nécessaire pour leurs investissements futurs ;
- il s’agit de ne pas remettre en cause l’unité d’action face à un défi commun mais au contraire de coordonner les réponses pour éviter les risques de distorsion de compétitivité.
Les prochains conseils, Conseil européen et Conseil des ministres de l’énergie, vont être d’une extrême importance. Un accord politique est nécessaire, qui permette la mise en place d’un prix plafond du gaz, condition du maintien d’une activité industrielle en France et dans plusieurs États membres.
Un accord sur les modalités pratiques est également nécessaire car le « Diable est dans les détails » : faut-il pendant quelques mois une mise en œuvre par zones, en tenant compte du degré d’interconnexion des réseaux électriques, à l’image d’une coopération renforcée ? Faut-il une mise en œuvre immédiate à l’échelle des 27, qui limiterait les distorsions tout en tirant parti de l’achat de gaz en commun ?