par Jean-Yves Autexier, président de Refondation républicaine
La Présidence de l’Union européenne revient actuellement à la République tchèque. Mais à Prague le 29 août dernier, Olaf Scholz a voulu montrer qu’il entendait tenir la barre. Dans un long discours à l’Université Charles de Prague, il a marqué sa façon de voir l’avenir. Au moins peut-on se féliciter de voir les questions importantes mises en débat. Mais ce discours est moins une vision anticipatrice pour notre continent qu’une affirmation du rôle que s’assigne l’Allemagne.
Elle se considère comme le chef d’orchestre, celui qui va obtenir « l’adhésion à l’UE de l’Ukraine, de la Moldavie, à terme de la Géorgie et des six pays des Balkans occidentaux ». Ainsi, souligne O. Scholz, « le centre de l’Europe se déplacera vers l’Est ». C’est vrai dans le domaine militaire : l’Allemagne entend « obtenir une répartition des tâches pérenne entre tous les partenaires de l’Ukraine », Au moins dans ce domaine, le chancelier allemand, qui vient de déployer une brigade en Lettonie, est conséquent. Mais sa vision évoque celle d’une Europe de Guerre froide étendue jusqu’aux limites de la Russie. S’il invoque la nécessité d’une Europe militairement souveraine, le chemin qu’il propose ressemble surtout à un ripolinage du bon vieil atlantisme : « des partenaires forts, en premier lieu les États-Unis, sont d’autant plus importants » ; « l’élection du président Biden est une bénédiction pour nous tous » ; « l’OTAN est aujourd’hui plus unie que jamais » « nous devons renforcer notre interopérabilité ». Ce n’est pas d’Europe européenne qu’il s’agit, mais d’une Europe sous parapluie américain. C’est d’ailleurs dit clairement : la force d’interopérabilité européenne qu’il propose pour 2025 doit « doit être déployée à l’intérieur de l’OTAN ».
Dans cette optique, il est optimiste de croire à un tournant allemand vers la souveraineté européenne, d’autant que le fait nucléaire, la dissuasions nucléaire – dont la guerre en Ukraine marque le caractère surdéterminant – sont totalement ignorés dans ce discours.
Au sein de l’OTAN, l’Allemagne envisage de devenir l’acteur prééminent. Avec 100 milliards d’euros affectés à la Bundeswehr, elle entend rattraper ses retards en s’attachant particulièrement à la défense aérienne. O. Scholz s’affiche là encore en chef d’orchestre : « l’Allemagne concevra cette future défense aérienne de manière que nos voisins européens puissent être impliqués si nécessaire, comme les Polonais, les Baltes, les Néerlandais, les Tchèques, les Slovaques ou nos partenaires scandinaves ». C’est bien une Europe recentrée vers l’Est, à l’abri du bouclier OTAN et sous direction allemande qui habite l’esprit du chancelier, lequel ne fait jamais allusion aux dissuasions française et britannique.
Olaf Scholz a également montré sa volonté de fixer les règles en Europe. « Je suis favorable à l’élargissement » ; « j’ai proposé un passage progressif au vote à la majorité dans la politique étrangère commune ». On se demande comment, dans des crises comme celle de l’Irak ou de la guerre en Ukraine, l’un quelconque des grands États se plierait à un vote majoritaire contraire à sa politique ou à ses intérêts. Disons-le clairement : le vote à la majorité simple en matière de politique étrangère signerait la fin de l’indépendance de la France. Veut-on alors discuter cette formule, y trouver des amodiations, par exemple sous forme d’intégration à géométrie variable ? « Je ne veux pas de cela » répond le chancelier qui veut même instaurer le vote à la majorité « dans notre politique de sanctions ou sur les questions relatives aux droits de l’homme ». Se dessine alors une conception singulière de l’élargissement : la Pologne, la Hongrie, demain des États des Balkans, devront se soumettre ou partir. Il subsiste en effet une réelle contradiction entre élargissement et resserrement de la discipline. La contradiction ne réside pas seulement là : elle est présente dans la proposition baroque de désigner « deux commissaires conjointement responsables d’une seule et même Direction générale ». La conciliation est difficile en effet entre l’élargissement à 36 et l’effectif de la Commission, ou celui du Parlement européen. Difficile conciliation également, entre le souci de « réduire l’immigration clandestine » et celui « de voir la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie intégrer l’espace Schengen ».
Malgré ces improvisations hasardeuses, le chancelier entend bien imposer une certaine discipline. Pour lui, il faut trouver un accord pour réduire la dette. « Cet accord doit être contraignant, faciliter la croissance et être politiquement acceptable » : la quadrature du cercle. Ce qui augure de difficiles négociations.
Même obsession disciplinaire pour poursuivre les États dont les orientations sont contestées : « nous ne devons pas hésiter à utiliser tous les moyens à notre disposition pour dénoncer les manquements… nous devons nous affranchir des procédés qui entravent les avancées à ce sujet… nous devrions donner à la Commission un nouveau mécanisme pour engager des procédures d’infraction ». L’Europe disciplinaire est-elle un horizon acceptable ? Elle a autant de chances de séduire l’Europe de l’Est que l’Europe du Sud !
Ce discours marque une réelle évolution de la politique européenne allemande, qui ne se limite pas aux questions institutionnelles, économiques et commerciales mais aborde les questions politiques, militaires et de défense. Il ne se démarque pas cependant d’une vision historique et stratégique faible et ancienne. Certes, l’Europe n’est plus vue comme un simple marché ou la concurrence est libre, un simple espace commercial. Le souci d’une Europe plus indépendante et souveraine marque une évolution chez les dirigeants allemands.
Mais ce n’est pas tant une Europe européenne qui est dessinée dans ce texte qu’une cohésion atlantiste encerclant la Russie. Les positions de la France sont le plus souvent ignorées, aussi bien en matière de défense qu’en matière d’autonomie par rapport aux États-Unis. Et pourtant, une Europe européenne a besoin de l’indépendance des États qui la constituent. Il faut cependant noter la prise en compte d’une Europe géopolitique à construire, même si pour l’instant le chancelier la définit seulement comme opposition à la Russie. Le soutien bienvenu à l’initiative de Communauté politique européenne, encore que celle-ci n’est pas définie, présentée par le président Emmanuel Macron, mérite à cet égard d’être souligné. Suffira-t-il pour convaincre les États nouvellement adhérents ?